Accueil > Récits > Ces vies dont nous sommes faits > Sylvie Rouart

Ces vies dont nous sommes faits

8

Sylvie Rouart

Quand on mène une enquête sur ses vies antérieures, il est naturel de chercher à savoir qui l’on a été dans la vie qui précède immédiatement. Avec les indications de Mme Méry, j’ai pu retracer une chronologie récente : Camille Desmoulins dans la deuxième partie du XVIIIe siècle (1760-1794), Gérard de Nerval (en admettant qu’il s’agisse d’une vie antérieure…) dans la première moitié du XIXe siècle (1808-1855), sans doute un militant ouvrier dans le Nord au cours de l’autre moitié du XIXe siècle. Comme je suis né moi-même dans la deuxième moitié du XXe siècle, il existe sans doute une incarnation dans la première moitié. J’ai été très marqué dans mon enfance par la Seconde Guerre mondiale. Elle a constitué la toile de fond d’un grand nombre de fantaisies nocturnes. Certes, mes parents en parlaient beaucoup, et cela a sans doute frappé mon imagination d’enfant, mais la découverte des vies antérieures m’incite maintenant à me demander si ces rêves éveillés ne sont pas des réminiscences de la vie située immédiatement avant la mienne. J’y suis d’autant plus enclin qu’une amie médium m’a indiqué que je suis resté très peu de temps dans l’astral entre ma précédente incarnation et celle d’aujourd’hui.

Pour cette vie récente, Mme Méry m’a vu en homme, originaire d’Ussel, abattu en Alsace par l’aviation allemande… Mais, grâce aux méditations, je vais découvrir une bien plus terrible histoire encore…

Un jour, au cours d’une de mes « régressions », je suis mis en présence d’une jeune femme. À cause de sa tenue contemporaine, je comprends immédiatement que c’est moi dans cette vie précédente. Elle est de dos. Elle porte de longs cheveux châtains. Je note le fort pouvoir de séduction de ses cheveux. C’est certainement l’élément de sa personnalité qu’on remarquait sans doute le plus et dont elle devait user pour séduire. Elle est jeune, trente-cinq ans environ. Je la baptise « Sylvie Rouart ».

Le nom est certainement faux. En fait, c’est celui que Delphine, mon assistante à la SFP, celle qui m’a fait connaître Mme Méry, a attribué à l’entité qu’elle a été sous Louis XIV. C’est ce nom que la jeune femme m’a donné quand je lui ai demandé comment elle s’appelait, mais je pense qu’il s’agit d’une suggestion.

En revanche, j’accorderais plus de crédit à son prénom. Il m’est familier. J’ai écrit en 1976 une nouvelle intitulée Sylvie et Bruno. Le titre était emprunté à un ouvrage de Lewis Caroll. La nouvelle raconte l’histoire d’une jeune parisienne branchée qui passe quelques jours de vacances au fin fond de l’Auvergne et séduit un jeune homme du coin, gentil écolo bien élevé, avant de tomber sous le charme d’un bûcheron, une brute frisée prénommée Bruno. Depuis l’écriture de cette nouvelle, le prénom de Sylvie est associé à l’image d’une femme jeune et séductrice, très attirée par les hommes et qui aime jouer avec eux. Il renvoie d’ailleurs à l’univers de Gérard de Nerval. Sylvie fait partie des personnages des Filles du feu. Ce prénom venait-il effectivement de ma vie précédente ?

Après cette première vision, je retrouve Sylvie au cours d’une autre méditation. Cette fois, elle m’apparaît assise sur un banc, dans un jardin qui a tout l’air d’un square. Un peu caché par la végétation, on aperçoit en arrière-plan la façade d’un bâtiment très imposant.

J’ai ensuite d’autres flashs sur elle dans les semaines qui suivent, si bien que, petit à petit, je peux construire un portrait un peu plus précis. À l’évidence, c’est une provinciale. Elle semble avoir étudié la psychologie. Je l’ai vue dans un grand amphithéâtre donner un cours ou une conférence. Je l’ai vue aussi taper à la machine un volumineux document, peut-être une thèse ou un rapport. Elle effectuait ce travail pour elle ou pour quelqu’un d’autre, son père par exemple. Ce n’était pas précis. Les petites scènes auxquelles j’assistais se déroulaient dans l’atmosphère médicale ou universitaire (ou les deux !). Sylvie était-elle médecin ou psychiatre ? Lors d’une séance, je l’ai vue rendre visite à un jeune homme alité dans une chambre qui pouvait être celle d’un hôpital ou une pièce au domicile de la jeune femme.

Au cours d’une autre régression, j’ai même assisté à sa mort dans un accident de voiture ! C’est un homme qui était au volant. La voiture s’est renversée dans un champ, en rase campagne. Des gens sont accourus, mais il était trop tard. J’étais morte.

Je suis très désemparé. Comment en savoir plus sur cette femme ? Le hasard, comme à son habitude depuis le début de cette aventure, m’organise un rendez-vous avec elle dans des circonstances tout à fait extraordinaires !

En juillet 1988 — j’en ai déjà parlé à propos de ma vie de moine à l’abbaye de Maillezais — Jean-Claude m’invite à passer mes vacances dans sa maison de Vendée. À la fin de la semaine, il rentre à Paris avec sa femme et me laisse la maison pour une semaine. Le dernier jour, je décide d’aller à Ussel, sur les traces de Sylvie Rouart. J’ai en effet mêlé mes visions et les propos de Mme Méry qui m’avait situé dans cette ville, certes en homme, mais je n’ai pas d’autre indication.

La veille de mon départ, je m’assois sur le canapé du salon, je me détends et je demande à mon guide intérieur ce que je dois faire une fois arrivé à Ussel. Et là, à ma grande surprise, la voix me dit :
— Ce n’est pas à Ussel que tu dois aller, mais à Chatelroux !

Je suis déconcerté par cette réponse, car « Chatelroux » n’existe pas ! Un peu sèchement, je dis à la voix :
— C’est Châtellerault ou Châteauroux ?!
Et la voix me répond avec une belle fermeté :
— Châteauroux !

Me voilà bien. Je ne suis jamais allé à Châteauroux, mon seul lien avec cette ville est qu’en 1987 j’ai eu comme stagiaire sur un tournage un jeune assistant-réalisateur, Joël, qui en était originaire. C’est maigre. Je regarde sur la carte où est Châteauroux. Je ne suis pas très loin. Mais, en dépit de ce que m’a dit la voix, j’ai quand même très envie de suivre ma première idée et d’aller à Ussel, pensant me rendre à Châteauroux au retour, en remontant vers Paris. Mais ne pas tenir compte de ce que dit son guide intérieur est une très grave erreur !

Le lendemain, avant mon départ, je mets de l’ordre dans la maison de mes amis. Mais par inadvertance, je casse le siège des toilettes en le nettoyant. Catastrophe ! Je ne peux pas repartir sans le changer. Et me voilà parcourant tous les petits villages alentour à la recherche d’un siège de toilettes blanc. L’objet est introuvable ! À l’époque, il n’existe pas de grandes surfaces de bricolage. Je finis quand même par dénicher l’oiseau rare, mais cette quête m’a fait perdre une bonne partie de l’après-midi ! Résultat : il est maintenant trop tard pour que j’aille à Ussel. Je n’y arriverai pas assez tôt pour trouver un hôtel ouvert. En revanche, j’ai tout le temps nécessaire pour aller… à Châteauroux, évidemment !

Et voilà comment la voix, vexée que je ne lui obéisse pas, a provoqué cet incident de siège de toilettes pour me retarder et m’obliger à aller là où elle l’avait décidé ! Non, mais !

Vers dix-neuf heures, j’arrive à Châteauroux. Je n’ai jamais mis les pieds dans cette ville auparavant et pourtant, d’emblée, elle me paraît familière. Il me semble d’un coup que tous les événements vus en méditation prennent leur place dans cette ville et sa région. Ainsi, avant d’entrer dans la ville, j’ai parfaitement reconnu la route où a eu lieu l’accident de voiture fatal à Sylvie.

En allant vers la gare, où je suis à peu près assuré de trouver un hôtel, je passe devant un grand bâtiment de pierre, avec un fronton et de hautes colonnes de style grec. Il s’agit de l’imposant palais de justice de la ville. Il me fait une forte impression. Des émotions profondes semblent lui être associées. En le découvrant, je suis convaincu que cette ville est chargée de puissants souvenirs liés à la vie de Sylvie Rouart.

Le Palais de Justice de Châteauroux.

Près de la gare, je trouve finalement un hôtel et je téléphone à Joël, le jeune stagiaire, pour lui dire que je suis de passage dans sa ville et que l’on se verra le lendemain s’il est disponible. Je lui demande où l’on peut dîner correctement et il m’indique un quartier où sont situés la plupart des restaurants. Et on se donne rendez-vous pour le lendemain.

Je reprends ma voiture et en contournant l’hôtel pour rejoindre le centre-ville, je découvre tout à coup avec stupeur un jardin public qui ressemble trait pour trait à celui que j’ai vu en méditation. Certes, les bancs ont été remplacés par des modèles plus modernes, mais il n’y a pas de doute possible. Comme dans ma vision, la végétation laisse apercevoir la façade d’un bâtiment qui s’avère être l’arrière du palais de justice dont la façade m’a intrigué en arrivant en ville. Je suis abasourdi. Abasourdi de retrouver exactement le jardin où j’ai vu en méditation Sylvie Rouart assise sur un banc. Abasourdi aussi que le nom de la ville m’ait été indiqué la veille au soir par la voix.


Situé à l’arrière du Palais de justice, le jardin des Capucins vu précédemment en méditation.

Je ne peux pas décrire l’émotion qui m’envahit à ce moment. Je crois que la foi dans l’au-delà m’est venue ce soir-là. Mon aventure m’avait pourtant procuré bien des révélations depuis un an, mais un déclic s’est produit en moi à ce moment. Jusqu’à présent, je m’en étais remis à des voyants pour me guider dans cette recherche. Cette fois, c’était la voix, celle de mon guide intérieur, qui m’avait amené — de force ! — dans cette ville totalement inconnue, et qu’aucun médium n’avait évoquée…

Joël ne résiste pas à l’envie d’aller à ma rencontre. Il fait la tournée des trois ou quatre restaurants principaux de Châteauroux et me trouve facilement. Je lui raconte l’objet de ma venue et surtout l’incroyable découverte que je viens de faire. Je suis encore sous le choc. Avec beaucoup d’enthousiasme, il propose de m’aider dans mes recherches.

Le lendemain, avec sa copine, nous visitons le cimetière de Châteauroux. Il est immense. Or, en méditation, après l’accident de voiture, j’ai vu plutôt l’entrée d’un petit cimetière de village. D’ailleurs, les images de méditation ne me laissent pas supposer que Sylvie Rouart habitait la ville même de Châteauroux. Tout me porte à croire, au contraire, qu’elle vivait dans une maison à l’écart de la ville. Je n’ai donc pas d’autre choix que de visiter tous les cimetières de la région, comme je l’ai fait avec Isabelle ! Mais cette idée n’enchante guère l’amie de Joël et comme je n’ai pas de certitude sur le nom de Rouart, je décide de rentrer à Paris sans poursuivre plus avant mes recherches. En fait, je ne suis pas certain de vouloir en apprendre davantage sur cette femme. J’ai très peur de ce que je vais découvrir. Ce voyage à Châteauroux m’a déjà complètement bouleversé, moins par mes découvertes sur Sylvie que par l’incroyable manière dont j’ai été conduit jusqu’à cette ville… Tout ceci est très déstabilisant. Il y a un refus en moi de continuer, d’aller plus loin.

Malgré tout, quelques jours après, je rends visite à Irina, laquelle, une fois de plus, me réprimande. Elle me dit que j’aurais dû m’asseoir sur un banc dans le jardin du palais de justice et me mettre en méditation. Alors, j’aurais reçu de nouvelles informations qui m’auraient guidé… Je fais vraiment un piètre explorateur de l’au-delà !

Elle me propose aussitôt de mener sous son contrôle une régression dans cette vie pour en savoir davantage.

Le début, hélas, est très laborieux. Après la montée en vibration, je me vois en cube, et je vois aussi Irina en cube ! Des esprits facétieux sont en train de perturber notre séance. Irina s’énerve et prie ces esprits de nous laisser travailler en paix ! Ce qu’ils font gentiment.

La séance peut enfin commencer.

Irina me demande d’aller dans cette vie de « Sylvie Rouart », précisément le jour de sa mort. Je me vois alors allongé dans un cercueil, dans une église. De nombreux jeunes hommes assistent à l’enterrement.

Puis nous passons au moment suivant : celui où Sylvie quitte ce monde. Je ressens alors la plus forte émotion de ma vie. Je vis ce qu’on présente souvent comme le « jugement dernier ». Je vois toute la vie de Sylvie défiler. « Voir » n’est pas le bon terme. Ce sont toutes les émotions liées à sa vie qui m’envahissent brutalement. Et c’est terrible. Sylvie a fait beaucoup de mal aux hommes qui ont croisé sa route. Elle les a séduits physiquement, manipulés psychologiquement. Circonstance aggravante, ces hommes semblaient dans un état de dépendance vis-à-vis d’elle. Était-elle experte psychiatrique auprès des tribunaux ? Cela expliquerait les volumineux documents qu’elle tapait à la machine et sa présence dans le jardin du palais de justice, attendant sans doute son tour dans une audience.

Au moment de mourir, j’intériorise avec une grande violence toute la souffrance qu’elle a causée à ces hommes. Tout me revient comme un boomerang et je vis cela dans ma chair, dans mon cœur, dans mon âme. C’est un moment horrible. Je comprends que le « jugement dernier » n’est pas prononcé par un être extérieur, mais par nous-mêmes, par ce jeu de miroir émotionnel redoutable. Tout ce qu’on fait aux autres, on le fait à soi-même. Le bien comme le mal.

L’intensité dramatique de cette séance augmente encore d’un cran quand Irina me demande quelle décision Sylvie prend à ce moment pour sa vie future — la mienne, donc. Tout de suite, je lâche : « Souffrir à cause des hommes ». Irina, qui dispose des mêmes informations que moi, acquiesce :
— Bien, bien. Et quelle est la seconde décision que tu prends ?

Je fais un effort pour capter cette seconde décision, mais rien ne vient. Irina insiste :
— Tu ne vois pas ce que c’est ? Vraiment ?

Aucune idée ne me traverse l’esprit alors que la première sentence karmique m’est venue très facilement. Irina conclut :
— C’est que tu n’es pas encore prêt.

Cette régression très douloureuse sera pour moi la dernière. Au fond, la boucle est bouclée. Cette incursion dans ma vie immédiatement précédente a parachevé le tableau. Je sais désormais à quoi m’en tenir et je comprends mieux les blocages, les incohérences et les impasses qui me torturent depuis de nombreuses années. Je comprends alors le sens de la mort de Christophe ou celle de mon frère Bernard. « Souffrir à cause des hommes ». Ces disparitions de mes « grands frères » auront effectivement marqué ma vie pendant toutes ces obscures années de grande solitude.

Quant à la « deuxième décision » que j’ai prise à la fin de ma précédente vie, elle me sera révélée bien plus tard, par la voix, toujours elle, qui me dira un jour, répondant à ma question sur ce que je dois faire de ma vie : « Écris, et aide au maximum les boxeurs ».

Mais ce jour-là, la boxe et les boxeurs ne sont pas encore entrés dans ma vie. C’est sans doute pourquoi cette seconde décision ne m’a pas été donnée. Je reconnais qu’elle m’aurait complètement déstabilisé ! Avant de concrétiser cette seconde décision, le chemin allait être très long…

Ultime envolée astrale

À Châteauroux, Joël, qui est passionné par le paranormal, m’a montré des livres écrits par Anne et Daniel Meurois-Givaudan, un couple qui effectue ce qu’on appelle des « sorties astrales » ou des « voyages astraux ». Selon leurs récits, l’âme peut volontairement quitter son enveloppe charnelle pour voyager dans un « univers » non physique, l’astral. C’est, rappelons-le, le lieu où séjournent les âmes entre deux incarnations. C’est aussi le lieu où « vivent » toutes les entités qui s’intéressent à nous et à notre planète, sans nécessairement chercher à s’incarner. C’est peut-être le lieu où s’affairent les extraterrestres. Certains prétendent que notre âme profite de notre sommeil pour se rendre dans l’astral où elle se livre à ses activités « habituelles ». Elle y rencontre les âmes de nos amis, des membres de notre famille, de nos collègues, de nos patrons, pour discuter avec elles et tenter de régler « à l’amiable » les questions qui nous tracassent le jour. Tout se présente comme si notre âme était un vaste ensemble avec un ou plusieurs « pied-à-terre »… sur Terre, en l’occurrence nos corps. Mais la petite vie de notre ego ne semble qu’une infime partie de ses préoccupations.

« Récit d’un voyageur de l’astral » d’Anne Meurois et Daniel Givaudan.

Lors de mes dernières méditations, j’ai ressenti d’étranges impressions physiques. J’ai eu le sentiment que mon âme cherchait à sortir par la base de mon crâne. Il s’est produit plusieurs fois une forte poussée sur l’ensemble de mon corps et une forte pression dans la nuque. Je me suis senti tout près de faire un voyage astral. Les livres de Meurois-Givaudan décrivent le processus de séparation de l’âme et du corps. C’est à la fois excitant et terrifiant. J’ai aussi lu les ouvrages de ces personnes accidentées ou très malades qui ont vécu des NDE, des expériences proches de la mort. Elles se sont soudain retrouvées collées au plafond de leur chambre d’hôpital tandis que l’équipe médicale s’affairait sur leur enveloppe charnelle pour la ramener à la vie.

L’expérience semblait finalement plus répandue qu’on ne le pensait, et somme toute assez banale ! Les techniques modernes de réanimation permettent en effet à un grand nombre de personnes mourantes d’être ramenées à la vie. Elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à témoigner sur ce qui se passe à ce moment-là : sortie du corps, station de la conscience au-dessus du lit d’hôpital ou du lieu de l’accident, vision d’un tunnel lumineux fait d’amour, enfin apparition de défunts qui viennent les accueillir. Elles ne vont pas plus loin ! La réanimation les ramène rapidement dans leur corps. Mais elles gardent de cette expérience bouleversante un souvenir qui transforme souvent leur vie.

J’avais aussi lu que si une âme quittait un corps, une âme errante pouvait en profiter pour prendre possession de ce corps et y habiter. Au retour, notre âme trouvait son enveloppe charnelle occupée. Rien de bien réjouissant ! Il y avait aussi des âmes peu recommandables qu’on risquait de rencontrer dans l’astral, et pas question d’appeler la police ! Bref, l’expérience paraissait à très haut risque. Comment l’âme retrouvait-elle le chemin de son corps ? Il existait un fil d’argent qui les reliait tous les deux, quelle que soit la distance qui les séparât.

Cent fois, au cours de précédentes méditations, j’avais failli sortir de mon corps, mais au dernier moment, pétrifié de peur, j’avais renoncé et interrompu le processus qui s’était mis spontanément en route sans que je le veuille. Il me fallait vaincre cette peur. Je savais que, si l’on surmonte sa peur, s’ouvrent de magnifiques perspectives. Je devais trouver à visualiser cette idée : la plus grande joie est cachée derrière la plus grande peur.

Je me suis souvenu alors de l’histoire d’une des pionnières de l’aviation, Adrienne Bolland [1]. Elle fut la première aviatrice à découvrir une passe à travers la cordillère des Andes pour relier l’Argentine au Chili. Aucun avion de l’époque ne volait assez haut pour passer au-dessus de la montagne. Il fallait donc trouver une voie de passage. Des aviateurs s’y étaient essayés avant elle. Ils avaient lancé leur avion dans une passe qui paraissait prometteuse. Hélas, ils avaient tous péri.

Adrienne Bolland. Une imagerie pour vaincre sa peur.

La veille de sa tentative, une vieille femme est venue voir Adrienne Bolland à son hôtel et lui a décrit le chemin qu’elle devait emprunter. D’abord, on aperçoit un lac en forme d’huître, puis il y a une paroi qui se dresse face à soi, abrupte, mais il faut voler vers elle, car, au dernier moment, sur la droite, il y a un passage qui mène vers le Chili.

Avec beaucoup de courage, Adrienne Bolland suit le conseil de la vieille femme. Elle repère le lac en forme d’huître, elle voit la paroi abrupte et lance son avion dessus. Elle doit naturellement vaincre la plus grande peur de sa vie. Elle va s’écraser sur cette paroi et connaître le même destin fatal que les autres aviateurs. Mais comme lui a dit la vieille femme, au dernier moment, l’aviatrice aperçoit sur sa droite un passage et réussit à gagner le Chili. Une route est ainsi ouverte grâce à elle.

Pendant des semaines, je m’astreins à répéter cette scène mentalement pour visualiser la paroi abrupte, ma très grande peur, la mort qui vient et puis finalement, l’ouverture de la voie.

Ainsi, je finis par dominer ma peur. Étant parvenu à relier l’Argentine au Chili par l’esprit, une sortie astrale ne devrait plus m’effrayer ! Un matin, je crois être sur le point de réussir. Je suis prêt moralement à tenter une sortie. Mais rien ne se produit. Je suis vraiment trop tendu. Je me demande vraiment ce que je vais découvrir pendant ce voyage, qui je vais rencontrer, où je vais aller. La curiosité est très forte, et je sens que je dois franchir ce cap. Découvrir par moi-même, directement, ce qui se passe derrière le rideau est ce qui me guide depuis le début de cette aventure il y a près de deux ans. J’ai franchi peu à peu toutes les étapes, les voyants, les régressions, la médiumnité, les fantômes, les « voix » intérieures. Il faut maintenant que je dissocie ma conscience de mon corps et que j’aille y voir de plus près. C’est inévitable. Sinon tout ce chemin n’aura servi à rien. J’ai certes vécu des émotions très intenses, mais pratiquement sans quitter ma baignoire. Je dois faire le grand saut et aller visiter moi-même l’au-delà. Et pourquoi pas aller consulter les Annales Akashiques chères au médium Edgar Cayce [2], et qui contiennent tout l’expérience humaine...? Mais j’ai trop peur.

« Les Retours d’Edgar Cayce ».

Je décide donc de renoncer. Je sors de mon bain, passe un peignoir et vais m’allonger sur mon lit pour m’endormir. Et il suffit de cette détente soudaine pour que le phénomène se produise ! Je sens mon esprit quitter ma tête par la base du crâne et tout de suite, je me retrouve coincé sous le plafond de ma chambre plongée dans l’obscurité. Je me dis : « Surtout, n’aie pas peur ! N’aie pas peur ! Tout va bien se passer ! » Comment un phénomène pareil est-il possible ? À ce moment précis ma première idée est de regretter que des scientifiques n’étudient pas de près ce genre d’expérience ; en général, ils se contentent d’analyser les témoignages de personnes qui ont vécu des sorties astrales. Comment la conscience peut-elle ainsi se détacher du corps et aller se coller au plafond ? Sans convaincre les témoins, ils expliquent le phénomène par un dédoublement de personnalité proche de la schizophrénie. Or, l’expérience, avec un peu d’entraînement, est parfaitement reproductible. Pourquoi, dès lors, des scientifiques ne tentent-ils pas eux-mêmes une sortie ? Ils en concluraient sans doute que la conscience n’est pas un phénomène physique localisé dans le cerveau, et cela remettrait en question beaucoup de certitudes.

C’est une chose de lire ce type d’expérience dans un livre, c’en est une autre de la vivre ! Mon « point de conscience » est bien sous le plafond, dans le coin de la chambre, et non pas en bas dans mon corps, ce corps qui est allongé sur mon lit et que je ne vois pas très bien. Il était comme masqué par du noir. Irina m’expliquera plus tard qu’on l’a « masqué » pour que sa vision ne me panique pas. Mais je vois très bien mon lit, ma table de chevet, les murs de ma chambre, la fenêtre. Tout. Rien à voir avec un rêve. Rien à voir avec une rêverie éveillée. Ma conscience est bien sortie du corps et est allée se loger au plafond. Elle est alerte, pas du tout endormie ! Au contraire même, mes sens sont en éveil, comme jamais sans doute ils ne l’ont été. Curieusement, je me sens respirer aux deux endroits : dans le lit et au plafond.

Très vite, je m’habitue à ce nouvel état. Pas d’autres âmes à l’horizon. Je suis seul dans ma chambre. Enfin, seul avec moi-même, allongé en bas. Je prends un peu d’assurance. Je me dis que je ne vais pas rester comme un ballot collé au plafond. Je n’ai qu’à émettre le désir d’aller dehors pour qu’aussitôt je traverse ma fenêtre et mes volets fermés et que je me retrouve à quelques dizaines de mètres au-dessus du bitume de ma rue. Curieusement, il fait nuit dehors, alors que le jour était levé depuis longtemps quand j’ai regagné ma chambre après l’échec de ma tentative dans la baignoire. Ai-je remonté le temps ?

Je me mets à danser au-dessus de la rue, comme un fou, pendant que les voitures passent en dessous de moi. Puis, courageux, mais pas téméraire, je demande à regagner ma chambre. J’en ai assez vu pour une première sortie astrale. C’est totalement terrifiant. Terrifiant de naturel, de simplicité. Il y a toute cette vie, là, à portée de l’esprit, cette vie qu’on ignore.

Je rentre dans ma chambre en passant comme si de rien n’était à travers les volets et la vitre de la fenêtre et je m’apprête à regagner mon corps, qui est encore allongé sur le lit. Je me tiens debout et je commets l’erreur de regarder mes pieds. Car j’avais des pieds ! Les miens sont censés être dans le lit avec mon corps. Ces pieds-là sont en quelque sorte une réplique immatérielle, ou du moins à peine matérielle. Ils flottent un peu au-dessus du parquet, s’enfoncent dans les lattes, remontent. Curieusement, cette vision de mes pieds me terrifie complètement. Cela a pour effet de me ramener rapidement dans mon corps. Je me souviendrai toujours de la sensation à ce moment-là. J’étais allongé en chien de fusil et mon âme reprend exactement la même position pour venir coïncider avec le corps physique. Et une fois que les deux se sont épousés parfaitement, je me « réveille » ou plutôt, comme je n’étais pas endormi, je reviens à une conscience « classique », dirai-je.

L’expérience me laisse pantois. Quand je regarde mon réveil, mon désarroi augmente encore d’un cran. Alors que l’expérience m’a semblé durer quelques secondes à peine, deux heures se sont écoulées entre ma sortie du corps et mon retour dans la chambre. Qu’ai-je donc fait pendant ces deux heures ?

Pour Irina, à qui je raconte mon aventure quelques jours plus tard, pendant ces deux heures, mon âme est allée régler quelques affaires puis, jugeant sans doute que cela ne me regardait pas, ou que j’allais encore trembler comme une fillette, elle en a effacé le souvenir en moi !

C’est l’expérience la plus déroutante de ma vie. Mais elle me fait peur. Je suis confronté à un dilemme. Je sais que si je médite de nouveau dans ma baignoire, je vais encore sortir de mon corps. J’ai rendu trop ténue la liaison entre mon esprit et mon corps. Il vaut mieux cesser les méditations. Je suis allé trop loin et le temps me semble venu de « redescendre sur terre ».

Ma vision du monde a totalement changé en deux ans. Mais ma vie, elle, est restée la même. Je travaille toujours à la SFP. Mais des changements professionnels vont en quelques mois bouleverser profondément mon quotidien, et pour longtemps. En fait, sans que j’en sois pleinement conscient, la vision de la lumière en méditation a planté en moi une petite graine qui fait naître peu à peu un nouvel être en moi. Une nouvelle incarnation, sans mort et sans renaissance. Exactement comme mon roman La Partition de Morgenstein l’avait annoncé des années auparavant…






© Christian Julia. 2021-2021.
Toute reproduction sans l'autorisation de l'auteur est interdite.

Envie d'en savoir plus sur ces textes ?

Les circonstances de l'écriture des textes sont décrites dans la rubrique Écriture du site général www.christianjulia.fr.

Retour en haut