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De quoi le graffiti est-il la religion ?

Introduction

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De quoi le graffiti est-il la religion ? La question qui sert de titre à cet essai a de quoi surprendre. Le graffiti est un art de la rue qui tient plus de la culture hip-hop que du Bon Dieu. Comment une activité illicite, véritable casse-tête pour les municipalités, source de colère pour une partie de la population, pourrait-elle être une religion ? Il est vrai que certaines œuvres donnent le sentiment d’avoir été réalisées par l’opération du Saint-Esprit ! Elles défient les lois de la gravité et peuvent sembler relever du miracle, d’une intervention divine ! Il y a bien, dans certains cas, une volonté évidente chez les artistes d’échapper à leur condition humaine et d’atteindre une sorte de transcendance du quotidien. Mais dans l’ensemble le graffiti n’est pas censé appartenir à la catégorie de la spiritualité. L’origine du graffiti est avant tout sociale. Pourquoi donc se demander : de quoi le graffiti est-il la religion ?

En fait, je me suis posé cette question parce qu’en côtoyant les graffeurs, en les observant se préparer à une intervention, puis se mettre à l’œuvre au pied du mur, je me suis rendu compte que leur activité avait tout d’un rituel moderne. Contrairement à une idée répandue, rien n’est plus calculé que le graffiti. Écrire un tag sur un boitier électrique ou même peindre un joli lettrage sur un mur peut sembler relever de l’acte instinctif, improvisé, décidé sur un coup de tête. Mais il n’en est rien. Tout dans le graffiti est prémédité. Et la création d’une œuvre murale, depuis sa conception sur le papier, jusqu’à sa réalisation sur le mur, suit un rituel immuable. Comme une messe. Certes, ce rituel peut varier d’un graffeur à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une circonstance à l’autre, mais ce ne sont là que d’infimes variations sur une trame de base qui se répète quasiment à l’identique de génération en génération à travers l’enseignement des « mentors », ces graffeurs expérimentés qui prennent dans leur équipe — on dit dans leur « crew » — les apprentis graffeurs dont ils ont flairé le talent.

Mais si le graffiti se présente comme un rituel moderne, on peut alors se demander alors ce qu’il met en scène. Après tout, ce rituel n’est sans doute qu’un moyen de ne rien oublier ! Un peu comme les pilotes de l’air passent en revue leur check-list dans les phases décisives du vol. Rien de religieux là-dedans ! Mais j’ai le sentiment que ce rituel exprime quelque chose de plus profond qu’un simple principe de précaution avant de passer à l’acte. Tout artiste — de rue ou d’atelier — met en jeu des forces de création dont on sait bien qu’elles sont fragiles, souvent inattendues, parfois contrariantes. Pour créer l’œuvre, la volonté du créateur s’associe à une part magique. Et cette mobilisation de forces inconscientes nécessite un rituel. Et puis, aucun acte créatif n’est gratuit. Il exprime toujours un message venu des profondeurs.

Je me propose donc, en m’appuyant sur mon expérience personnelle, de partir à la recherche des éléments qui peuvent laisser à penser que le graffiti est une religion. On découvrira que les pistes sont nombreuses…

Mais alors il faudra ensuite se poser la question qui sert de titre à ce livre : si le graffiti est de nature spirituelle, de quoi est-il la religion ? Quelle intention met-il en scène dans ses créations, et dans quel but ? Pour nous annoncer quoi ? Pour nous convaincre de quoi ?

Tel est l’objet de cet essai…

Christian Julia




Il existe une version sonore de ce texte :

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