L’association « DPF » de Mamou Soumaré fonctionne donc sur la base du volontariat. Comme on l’a vu, elle accueille des jeunes de 16 à 25 ans (ou 30 ans pour les personnes en situation de handicap) qui se sont inscrits dans le programme de service civique. Ils ont donc vocation à apporter quelque chose à la vie sociale, mais dans le cas de l’association, la perspective semble être inversée, et ce sont les jeunes qui reçoivent plus qu’ils ne donnent, même si le pari de la fondatrice est qu’ensuite ces volontaires redonneront aux habitants du quartier ce qu’ils ont reçu.
Qui sont ces volontaires ? Nous en avons interrogé certains. Voici leurs témoignages.
Jade
Jade a dix-sept ans. Elle vient d’avoir son bac et va intégrer une école d’ingénieurs en février prochain. Pour l’instant, elle suit un cursus de « prépa intégrée » et souhaite ensuite s’orienter vers la robotique, l’intelligence artificielle ou les transports intelligents. Qu’est-ce qui l’a poussée vers le service civique ?
Je cherchais du travail, quelque chose qui soit assez différent du milieu dans lequel je me dirigeais pour avoir des expériences assez variées dans ma vie. Donc je me suis orientée vers le service civique. Et puis je suis tombée sur celui proposé par l’association « DPF ». J’ai postulé, j’ai été reçue en entretien et j’ai commencé.
Parmi les thèmes proposés par l’association, celui de la maîtrise de l’énergie lui a paru dominer les animations.
En ce moment, c’est celui auquel on consacre le plus de temps, le plus d’énergie, que ce soit, par exemple, dans un podcast ou à travers une animation qu’on va mener la semaine prochaine dans les écoles ou celle qu’on a déjà réalisée cet été sur le parc Friedberg [1].
Mais pour autant, elle s’intéresse aussi aux autres thèmes abordés par l’association.
Il y a aussi le développement personnel. C’est un thème qu’on va pratiquer de façon assez différente : on ne va pas faire des animations mais plutôt des ateliers. On va par exemple travailler sur notre éloquence, sur notre connaissance de soi-même. On nous amène à nous interroger sur certains sujets ; par exemple, on a reçu une intervenante qui nous a fait réfléchir à l’égalité homme femme. Et le troisième thème, celui de l’insertion professionnelle, c’est sans doute celui qui nous fait le plus de bien dans le sens où on est très bien accompagnés sur un projet. Je me suis sentie entendue et écoutée dans mes demandes. On est toujours à la recherche d’expérience professionnelle. Je trouve pour ma part que la partie insertion professionnelle est très bien menée. On sent qu’on aura des expériences beaucoup plus enrichissantes à la fin du service civique qu’avant. D’autant qu’on prend beaucoup sur nous car on ne se connaissait pas avant le service civique.
Le bilan qu’elle tire de cette expérience est très positif.
C’est enrichissant pour tout le monde. Les activités sont très variées. On a commencé le premier podcast. Ce sont des expériences très marquantes. Il y a très peu de chances que dans ma vie je refasse un podcast. C’est à mi-chemin entre le travail et la formation. Formés, oui, mais je dirais qu’on est initiés au monde du travail, c’est-à-dire qu’on se sent vraiment accompagnés vers l’emploi. Pour ma part je trouve que le projet a une belle raison d’être. Ça fait plaisir d’y participer, même si on a parfois l’impression qu’on reçoit plus qu’on n’apporte. En fait c’est nous qui sommes enrichis, et on essaie de le retransmettre au quartier des Hautes Noues. C’est nous qui sommes les plus grands chanceux dans l’histoire ! Par exemple, on a eu la chance de recevoir une socio-esthéticienne. C’est un métier qu’on ne connaissait pas du tout et ça nous a été très utile.
On se sent écoutés et entendus, et de bon cœur. Les intervenants manifestent un réel intérêt pour notre personne, pour nos projets. Et ceux qui n’avaient pas de projet d’avenir, à la fin du service civique, ils ont pris conscience de ce qu’ils voulaient faire. Parce qu’on a plein de contacts au quotidien avec des métiers, avec des personnes qui sont réellement dans l’écoute et ça nous fait du bien.
Mon besoin de changement, mon besoin d’expérience, a été plus que comblé !
Pourtant Jade, à l’entendre, apparaît comme une personne très positive, très déterminée, qui sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Qu’est-ce que le service civique au sein de l’association « DPF » a changé en elle ?
Je dirais qu’au niveau de ma personnalité, effectivement, j’ai toujours été comme ça. Mais ma vision du monde est beaucoup plus complète, plus réaliste, maintenant. Parfois, on fait des amalgames : par exemple, si demain je vous parle de quelqu’un qui est en prison, vous allez penser qu’il est dangereux. Bah non, pas nécessairement. Quand tu passes une journée avec lui tu ne te sens pas du tout en danger. C’est pas du tout quelqu’un de mauvais.
Au début, tu as l’impression que le mélange ne se fera pas mais ça se mélange très bien et c’est peut-être mieux, le fait qu’on ait des profils variés. Peut-être que si je n’avais été qu’avec des personnes comme moi, l’expérience aurait été moins enrichissante.
On était tous des inconnus les uns pour les autres et on a été amenés à se connaître à travers des ateliers, à travers des jeux. Je ne dirais pas que les différences ont disparu, mais ce n’était plus des barrières. Elles étaient là et c’était même ces différences qui nous intéressaient.
Yannick [2]
Si Jade est aussi marquée par sa mise en présence de personnes très différentes d’elle, c’est que dans l’ADN de l’association il y a cette volonté de l’ouvrir à tous les publics, avec l’idée que la diversité est une richesse, pas un obstacle à la cohésion d’un groupe.
Nous en avons parlé plus haut, Mamou Soumaré a souhaité accueillir des personnes handicapées. On a dit que cela pouvait présenter des contraintes qu’elle n’était pas prête à assumer seule pour l’instant. Pourtant, l’accueil de Yannick dans le dispositif et la réussite de son parcours sont non seulement une belle fierté mais aussi un encouragement pour développer cette voie certes difficile mais très fructueuse.
Yannick a 16 ans ; il est atteint depuis son enfance d’un problème très particulier désigné sous l’expression de « troubles dys », dys, pour dysfonctionnement [3]. Ces troubles peuvent affecter le langage, la coordination motrice, l’attention, la perception, la mémoire, les fonctions visuo-spatiales, les fonctions exécutives. Ils sont variables d’un individu à l’autre, ils peuvent être associés entre eux ou isolés.
Si on demande à sa mère, Anita [4], de quoi souffre son fils, elle est embarrassée :
Je cherche mes mots. Il y a des mots que je n’aime pas. Il souffre en fait de troubles dys. Tout cela amène à une perte de confiance en soi. Le diagnostic a été établi à l’âge de dix ans et a nécessité un suivi. Des choses ont été mises en place, mais la cerise sur le gâteau, c’est sa réussite, son épanouissement au niveau du service civique. Ça lui a montré qu’il était capable de faire comme les autres, de réussir. Aujourd’hui, il s’oriente vers les métiers de la sécurité. Il a toujours aimé l’aide à la personne. Quand il a eu dix ans il m’a demandé de passer son PSC1 [5]. Personnellement, connaissant ses difficultés je lui ai dit que c’était impossible, qu’il était trop petit. Mais je me suis renseigné auprès du Secours populaire où ils m’ont dit « Si, si, à partir de dix ans il peut le passer ». Ils ont ajouté : « Ne vous inquiétez pas, on va gérer, on a l’habitude ». Il a passé son PSC1. Il avait dix ans ; il l’a passé avec des trentenaires. Il a adoré parce que c’était quelque chose qu’il aimait faire, le secours à la personne. Cela l’attirait. On faisait les portes ouvertes chez les pompiers. Il a fait des stages à la police municipale, il a fait la sécurité dans un Leclerc, il a fait le garde du corps avenue des Ternes à Paris. C’est comme ça qu’il a trouvé sa voie en bac pro.
Il a été très bien accompagné avec Mamou. Ça lui a donné confiance en soi. Il est tombé sur des gens qui étaient à l’écoute, qui ne lui rappelaient pas à chaque fois son handicap. Son handicap ne se voit pas, c’est un handicap neurologique, donc invisible. Par exemple il ne va pas pouvoir faire de doubles tâches parce qu’il y a la mémoire à court terme et il y a la mémoire à long terme. Et dans certaines situations il va se rappeler de choses à court terme et d’autres à long terme. Ce trouble se détecte souvent dans le travail scolaire. Il ne peut pas répondre quand y a plusieurs éléments si on lui pose une question, ça peut être compliqué pour lui.
Pourtant Yannick a accepté très volontiers de nous apporter lui-même son témoignage sur son expérience au sein de l’association. Il a commencé par se présenter :
J’ai 16 ans. Je suis un bac pro métiers de la sécurité au lycée Eugène Delacroix au Drancy [6].
Ce bac pro forme à l’exercice de différents métiers de la sécurité, de la sûreté et de l’ordre public, de la protection des personnes, des biens et de l’environnement.
Les objectifs de Yannick sont très clairs :
Je veux m’orienter vers la sécurité rapprochée, la protection des personnalités, des hommes politiques… J’aime bien protéger les gens. J’ai eu cette envie il y a deux ans. Un ami de mon père est garde du corps et en parlant avec lui, ça m’a donné envie d’aller dans cette voie.
Naturellement, pour compléter sa formation, il suit des cours de jiu-jitsu brésilien et de boxe anglaise dans un club près de chez lui. Il a connu l’association « DPF » quand il suivait une formation de BAFA [7].
Mamou Soumaré nous a présenté le service civique et tout de suite ça m’a parlé. J’ai voulu le faire. La première chose qui m’a attiré, c’est l’écologie. Il y avait aussi du développement personnel et de l’insertion. Je voulais venir en aide aux habitants des Hautes Noues.
Et il n’a pas été déçu ! Il garde un très bon souvenir des ateliers d’écologie.
On a appris les gestes écologistes à faire chez soi, par exemple brancher les appareils sur des multiprises, éteindre la lumière. On a aussi fait des mises en scène. Une cuisine avait été installée avec des objets et on devait trouver ce qui n’allait pas. Ça, ça m’a bien plu.
Mais il reconnaît que pour l’instant, ses échanges avec ses amis sur le sujet de l’écologie ne sont pas très nombreux. Il essaie de leur en parler, mais ils ne sont pas très réceptifs. Ils sont avant tout préoccupés par leurs études. En fait, il en parle surtout avec ses parents.
Yannick reconnaît que les autres formations lui ont apporté beaucoup.
Maintenant je sais faire des CV et des lettres de motivation. Je suis plus à l’aise dans ces opérations.
Mais ce sont les ateliers de développement personnel qui l’ont le plus marqué.
J’ai pris confiance en moi. Il y a eu un atelier où il fallait faire les speakers, et du coup ça m’a donné de l’assurance pour parler en public. On était dans un studio et on a enregistré nos voix. C’était bien. Et ça me servira plus tard pour parler à mes clients. Il y a eu aussi une socio-esthéticienne qui est venue comme intervenante. Elle nous a fait une démonstration de manucure, elle nous a aussi montré des crèmes pour les mains. J’ai bien aimé. J’ai compris l’importance de l’apparence. Ce sera très utile pour moi.
Il a aussi beaucoup apprécié de faire de nouvelles connaissances, des rencontres. Pour lui, il y a eu vraiment un « avant » et un « après ». Ce qu’il retient surtout c’est la confiance en lui que l’expérience lui a procuré.
Ça m’a apporté beaucoup de choses, je le recommande aux autres jeunes.
Mamou Soumaré peut confirmer l’impact très positif que le service civique au sein de son association a eu sur Yannick.
Pour moi c’est ma plus belle réussite à mi-parcours dans le dispositif. Parce qu’il s’est ouvert là où il avait des difficultés à participer dans un cursus classique de formation. Son parcours scolaire a été très difficile.
Heureusement que sa mère a insisté. Il était rejeté de partout. On lui a dit de s’orienter vers une structure spécialisée, mais ce n’est pas évident. Elle s’est battue, elle a mis plein de choses en place. Il a réussi à faire avec son trouble et quand on le voit parmi les autres, on ne sait même pas qu’il a quelque chose au final tellement il s’est ouvert. Il participe, il comprend les choses. Moi, c’est ma plus belle réussite. Il me touche beaucoup cet enfant.
Ce succès avec Yannick encourage Mamou Soumaré à tenter l’expérience avec d’autres personnes en situation de handicap. Malgré sa formation d’infirmière, elle sait que seule une personne spécialisée peut l’aider à accompagner ces profils particuliers. Mais l’idée d’ouvrir le dispositif à toutes les personnes est bien ancrée en elle. Alors…
Des jeunes sous main de justice
L’ouverture de l’association à des personnes en situation de handicap est une innovation importante de ses créateurs. Mais il y a un autre domaine qui fait de cette association un parcours d’insertion très innovant. C’est l’intégration dans le dispositif de personnes sous main de justice. L’expression, on le devine, désigne des jeunes qui ont eu quelques problèmes avec la justice, pas de graves problèmes, mais des problèmes qui les ont amenés à subir des condamnations. Des condamnations certes légères, mais des condamnations quand même. Autrement dit, ce sont des jeunes qui sont en équilibre sur un fil et qui peuvent, au gré des événements de leur vie, tomber d’un côté ou de l’autre : soit se réinsérer dans la société, soit verser totalement dans la délinquance.
C’est tout le rôle du Juge d’Application des Peines, le « JAP » comme on le désigne souvent, d’apprécier de quel côté le jeune peut pencher et de prononcer soit une peine d’emprisonnement, soit ce qu’on appelle un TIG, un Travail d’Intérêt Général.
C’est ainsi que certains jeunes relevant du TIG ont choisi de s’inscrire au service civique et de participer à l’action de l’association « DPF ».
Mathilde Valin, juge d’application des peines au tribunal judiciaire de Créteil, détaille la finalité de son action :
Notre action est régie par de grands principes et de grandes obligations. D’abord, de rendre effective l’exécution d’une peine et en déterminer les modalités. S’inscrire dans un processus de prévention de la récidive, garantir les droits des victimes — ce qu’on appelle, nous, le droit à la tranquillité les victimes. S’assurer que ces dernières bénéficient d’une indemnisation. C’est autour de ces grands principes que se conçoit l’exécution des peines. C’est fort de ces injonctions qu’on va accompagner les personnes avec des mesures qui sont très différentes en fonction de la gravité des faits, de l’âge, de la personne et des problématiques qu’elle présente. On traite actuellement l’application des peines avec un modèle qui s’appelle « besoin, risque, réceptivité ». On travaille sur les besoins des personnes. Est-ce qu’elles ont des besoins sociaux ? Est-ce qu’elles ont des besoins de formation ? On travaille aussi sur un modèle de facteur risque. Quel risque présentent-elles ? Est-ce qu’elles présentent un risque de réitération, de réitération violente ? Est-ce qu’elles présentent un risque amoindri ? Et ensuite on travaille sur la notion de réceptivité. Est-ce que les gens qu’on accompagne sont réceptifs au suivi proposé ?
Une fois la décision prise de condamner la personne à un TIG plutôt qu’à une peine d’emprisonnement, le juge passe le relai au SPIP [8], le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, qui va se charger de trouver un employeur, une association, un organisme public ou privé, qui va accueillir le TIGiste. Le SPIP intervient pour les majeurs ; pour les mineurs c’est le PJJ [9] qui se charge d’eux. La personne sera alors encadrée sur place par un tuteur. Un conseiller SPIP assurera ensuite la liaison entre le TIGiste et la justice pour vérifier que tout se passe bien et que l’objectif d’insertion ou de réinsertion est bien atteint.
Il faut imaginer que le travail d’intérêt général avait été pensé dans un premier temps pour permettre aux personnes de se réinscrire dans un processus d’emploi, de réinsertion professionnelle. Donc c’était un processus réservé à des gens qui avaient une employabilité immédiate. Et puis progressivement, il y a eu des TIG qui ont été mis en place avec des gens qui étaient de plus en plus loin de l’emploi et donc qui ne pouvaient pas trouver leur place dans une équipe de travail classique. Il y a eu parallèlement une évolution du sens que les gens mettaient à leur peine. Il y avait aussi le souhait, de la part des condamnés, d’inscrire leurs actions dans quelque chose de l’ordre de la réparation, de faire quelque chose d’utile, quelque chose qui est valorisé et il y a eu cette évolution du travail d’intérêt général.
Présenter le travail comme une sanction ce n’était pas une bonne idée ! Le travail n’est pas une sanction. Le travail, c’est une opportunité, une opportunité de ressources mais aussi une opportunité d’acquérir des compétences. C’est une opportunité de s’inscrire dans un réseau relationnel. Vous avez la possibilité de faire quelque chose d’utile et contrairement à ce qu’on imagine, il y a une attente de réparation, et aussi de faire quelque chose dont on peut parler chez soi, qu’on peut partager avec ses proches, l’envie de pouvoir valoriser cette exécution de peine.
C’est ainsi que le TIG petit à petit a évolué autour de cette idée que, certes, ça devait être une peine, que les gens embrassent en ayant le sentiment que c’est une sanction méritée, mais que ce n’est pas bête et méchant. C’est une sanction mais avec cette sanction ils vont sortir en ayant acquis des compétences. Ils auront fait quelque chose d’utile. Même la SPA [10] maintenant accueille des TIGistes. Plus on a des adhésions et plus on a de réceptivité à l’accompagnement proposé, et moins on a de récidive. On ne cherche pas à ce que les gens soient heureux d’exécuter leur condamnation. On cherche par le biais d’une activité qu’ils peuvent trouver valorisante de les inscrire dans des processus de réinsertion, de réhabilitation personnelle.
Il y a des gens très différents, il y en a qui ont très envie d’avoir une expérience professionnelle, par exemple, en cantine parce qu’ensuite ils pourront le mettre sur leur CV. Il y a des gens qui ne vont jamais accepter un TIG parce que c’est trop engageant. Il faut aller à l’extérieur, rencontrer des personnes, se confronter au fait qu’on est TIGiste dans une équipe. Ce n’est pas évident. Il y a des gens qui vont préférer un bracelet électronique, ils vont considérer que c’est moins engageant, moins contraignant sur les horaires.
Pour arrêter sa décision, le juge prend en considération le monde carcéral d’aujourd’hui. Pour les peines très longues, les prisonniers peuvent travailler, suivre des formations. Mais la situation pour les peines plus courtes est très différente. Les établissements sont occupés à 140, 160% de leur capacité initiale. Cette situation ne favorise pas du tout un retour à la vie professionnelle. L’oisiveté et les mauvaises rencontres amènent souvent le « JAP » à considérer que l’emprisonnement n’est pas une bonne solution. D’où le recours aux TIG.
L’état parfois dégradé de certaines maisons d’arrêt, l’absence d’accès à des possibilités de formation, tout cela va nous conduire parfois à prononcer des TIG. Alors que si la détention offrait d’autres choses, on prononcerait peut-être plus de peines d’emprisonnement. Mais quand on a affaire à des publics très vulnérables on se dit qu’ils ne peuvent pas aller en détention, que dans cet environnement-là ça risque de s’aggraver. Le garçon n’avait déjà pas de bonnes fréquentations dehors, mais là il va sortir avec tout un réseau de « nouvelles connaissances » et ce n’est pas très bon !
Un TIG se mesure en semaine de 35 heures, ce qui correspond à une peine d’emprisonnement de six mois.
Sauf s’il est en semi-liberté, le TIG rentre chez lui le soir. Il faut donc veiller à ce qu’il ait quelqu’un qui l’accueille, ou s’il est obligé de travailler parallèlement à son TIG, voir s’il est possible d’aménager ses horaires.
À la fin du TIG, le conseiller transmet un rapport au « JAP » qui va déterminer, selon le résultat du TIG, si la personne a exécuté sa peine, sinon, elle va en prison.
Le TIG suppose naturellement un grand investissement de la part de la structure qui accueille la personne. C’est la clé de la réussite de la formule. Tout doit être mis en œuvre pour que la personne réussisse son intégration dans le service où elle va travailler.
Parce qu’on a un public qui a besoin de continuité dans la prise en charge. Il y a des mairies par exemple qui sont très réticentes à l’idée d’accueillir des TIG, mais quand ils font l’expérience et surtout quand ils organisent les accueils, qu’ils acceptent d’y consacrer du temps, on a très peu de mairies qui regrettent ensuite d’avoir fait ce choix-là. Mais c’est vrai que c’est un investissement de la collectivité, à l’égard de personnes qui parfois ont un peu démérité. Mais ça amène ces personnes à construire avec leur environnement des relations infiniment plus intéressantes. Je ne pense pas qu’on puisse continuer à dégrader dans un lieu qu’on a investi. La délinquance c’est encore aujourd’hui beaucoup une question de contexte. Quand la personne change de contexte, quand elle s’intéresse à d’autres choses, elle change de comportement. C’est ça aussi le TIG, c’est un déplacement.
L’intention de la loi c’est que les personnes redeviennent des citoyens responsables et cette dimension-là elle existe parfaitement dans le travail d’intérêt général : redevenir un citoyen responsable.
Dans ces conditions, la clef de la réussite, c’est aussi que le TIG corresponde aux besoins de la personne.
Les conseillers d’insertion travaillent maintenant beaucoup autour des valeurs des personnes. Qu’est-ce qui est important dans leur vie ? Quelles sont leurs valeurs fortes ? Est-ce que c’est la famille ? Est-ce que c’est le travail ? Est-ce que c’est l’attention aux autres ?
Or, on s’aperçoit que de plus en plus de jeunes sous main de justice soumis à un TIG s’orientent vers des activités en rapport avec l’environnement. Le ministère de la Justice a mis en place une plateforme consacrée au TIG qui recense les possibilités offertes aux TIGistes [11] et les propositions autour de l’écologie ont de plus en plus de succès.
C’est ainsi que l’association « DPF » a pu proposer des TIG à certains jeunes sous main de justice.
Les « invisibles »
Cette population de jeunes « sous main de justice », Tarek Ben Mansour la connaît bien. Il est non seulement directeur Médiation Prévention à la mairie de Villiers-sur-Marne, mais il est aussi coordinateur du CLSPD, le Contrat Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance. Il a considéré que le projet de Mamou Soumaré, le parcours d’insertion, devait s’intéresser à ce que l’Etat appelle « les invisibles ».
Les invisibles ce sont des jeunes qui sont sortis des radars. On a du mal à les voir dans les services de la ville, mais bizarrement ils sont visibles, on les voit, ils tiennent les murs du quartier. Toute la question et la philosophie du parcours insertion, c’est comment travailler avec un public du quartier éloigné de l’insertion professionnelle ? Comment trouver un contenu de parcours d’insertion qui tient compte de ce public-là, un peu particulier ?
Très vite, Tarek a noué un partenariat avec le SPIP 94 dans le but d’intégrer dans l’association « DPF » des jeunes TIGistes. L’idée était de proposer des TIG qui soient attractifs pour ce type de public.
On s’est dit qu’une de nos missions, c’était d’attirer les jeunes les plus éloignés du travail, qu’ils soient sous main de justice comme les TIGistes ou d’autres qui ont des parcours un peu chaotiques. Il fallait qu’on ait des propositions en terme de programmation qui soient à la hauteur de ce public. Donc on a un peu « déconstipé » notre contenu et proposé du contenu différent. Il y a effectivement des ateliers d’insertion, des ateliers de développement personnel, des ateliers d’éco-gestes et des ateliers d’action. On a essayé de chercher des thématiques qu’on n’a pas l’habitude d’avoir, des thématiques qui peuvent donner lieu à des échanges et à du débat. Par exemple, dans les ateliers de développement personnel, on a parlé des valeurs de la République et de la laïcité et ça a été un débat plus qu’intéressant. On a parlé de la mixité garçon fille, et c’est vrai que la mixité garçon fille dans les quartiers prioritaires, ce n’est pas quelque chose qu’on aborde beaucoup. On a fait de l’analyse comportementale à travers le sport, on a fait des ateliers d’expression orale et gestuelle, différents de ce que l’on a l’habitude de proposer. On essaie d’être le plus interactif, le plus pédagogique et on tient compte du fait qu’on a en face de nous des gens qui ne maîtrisent peut-être pas complètement la langue française, d’autres qui ont des difficultés avec l’écrit, d’autres qui ont des difficultés de concentration.
La cohésion est telle au sein du groupe, qui est pourtant composé de personnes aux parcours très différents, qu’il est difficile de savoir qui est sous main de justice.
C’est ce mélange qui tire le groupe vers le haut. La vie est faite de rencontres et c’est ce qu’on essaie de faire, donner la possibilité à ces jeunes au parcours déviant de faire de belles rencontres pour, justement, s’extirper de ces parcours qui peuvent être chaotiques pour eux.
Un de nos TIGistes, qui avait 160 heures à faire, était le plus âgé du groupe. Il s’est comporté très rapidement comme un délégué de classe ! Il a eu un rôle un peu paternel vis-à-vis de ses camarades. Il s’est très bien intégré. Il nous a même dit qu’il était prêt à continuer après son TIG à venir de temps en temps voir comment ça avançait. C’était la plus belle des satisfactions qu’on puisse avoir quand on a quelqu’un qui a terminé sa peine et qui dit : « Je suis prêt à faire du bénévolat ».
Pourtant, insérer des personnes sous main de justice dans le cadre de cette action n’est pas sans risque.
Certains nous disaient qu’on était un peu fous, mais plus on nous disait que ce n’était pas possible plus on avait envie de le faire ! Donc on a testé et c’est une belle initiative saluée par le ministère de la justice. On me disait « Attention ! Vous allez vous occuper de personnes placées sous main de justice, c’est compliqué, etc. ». On stigmatise beaucoup les gens qui ont des parcours déviants. On les voit souvent sous la rubrique des faits divers, mais nous, on a envie de montrer que dans nos quartiers, il y a aussi des gens qui sont plein de ressources, de potentiel. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Ce n’est pas parce qu’on a dévié notre trajectoire à un moment donné qu’on n’est pas quelqu’un de bien.
Au SPIP 94, ils ont mis en place des groupes de travail appelés La fabrique du TIG qui réunit des juges d’application des peines, des acteurs de terrain institutionnels, des membres du service judiciaire. Et la thématique de cette fabrique, c’est l’environnement. Autant dire que l’expérience que l’on fait avec l’association « DPF » est très suivie. Il est même envisagé un concours national appelé Emergence, qui sera porté par la Justice. Il est destiné à saluer les initiatives locales mises en place avec des personnes placés sous main de justice sur cette thématique de l’environnement. On espère qu’on sera recevable et qu’on obtiendra cette distinction ! Ce serait une belle reconnaissance.
Selon Tarek, le ministère de la justice a voulu travailler sur d’autres thématiques que ce que l’on a l’habitude de voir dans les TIG, les espaces verts, la cuisine, etc. Il a voulu offrir une alternative nouvelle. Et l’environnement, c’est un thème d’actualité.
J’ai toujours pensé que l’environnement c’est comme la culture. Ça a du mal à se frayer un chemin dans nos quartiers prioritaires. Les gens sont tellement noyés par des difficultés qui sont tout autres : le chômage, la réussite scolaire, etc. Les problématiques de la planète, ce ne sont pas des enjeux pour eux. En développant ces TIG environnement, ça permet peut-être d’étoffer un peu la diversité des propositions qui sont faites au niveau du ministère de la justice, auprès des personnes placées sous main de justice.
Mais comment tenir en haleine ce public si particulier, ce public de TIGistes, sur la problématique de l’environnement ?
L’environnement, c’est une thématique d’actualité importante et les jeunes qui sont éloignées des réalités professionnelles ne sont pas forcément concernés par cette thématique. Pour les attirer, il a fallu qu’on réfléchisse à un contenu qui soit punchy, qui permette à chacun de prendre pleinement conscience de ce qu’il peut produire. J’ai le souvenir de la venue d’une socio-esthéticienne, je me suis dit qu’avec les jeunes placés sous main de justice on allait avoir du mal. Ils vont nous dire : « C’est quoi ces activités de meufs ! ». Eh bien, ce sont les premiers à être repartis avec leur brumisateur et leur parfum ! Parfois on se dit qu’il faut sortir des clichés et oser. On voulait vraiment qu’on porte un autre regard sur les personnes placés sous main de justice, qu’on arrête de les regarder comme des délinquants en puissance, mais plutôt comme des acteurs du quartier qui sont susceptibles de faire des choses et d’apporter beaucoup.
Tarek se souvient d’une action particulière destinée à lutter contre le « street pooling », cette pratique des jeunes qui consiste à casser les bornes d’incendie pour se rafraîchir en cas de forte chaleur dans le quartier.
Casser des bornes incendie c’est passible d’une amende et ça a des conséquences sur le débit d’eau, sur la pression, sur les interventions des pompiers. Ça oblige à faire intervenir la police nationale et c’est toujours problématique. Notre objectif c’est de dire aux jeunes : si vous cassez une borne incendie, c’est tous les locataires qui payent la facture. Le jour de l’action, quand on a demandé aux pompiers de mettre leurs échelles à la hauteur où va une borne incendie, ils l’ont montée à dix mètres. C’était spectaculaire de voir qu’une borne incendie va aussi haut et que c’est du gaspillage d’eau, alors que dans d’autres pays des gens font des kilomètres pour en récupérer. J’ai constaté ensuite qu’à travers les actions de sensibilisation et à force de le répéter, les jeunes qui nous posaient le plus de problèmes ont commencé à prendre conscience de la problématique qui est derrière le thème de l’environnement. Et je pense qu’ils ont été fiers aussi d’y participer. On a eu Mme la préfète à l’égalité des chances qui est venue. Ils ont été fiers de côtoyer des personnalités institutionnelles. On a eu un représentant du territoire Paris Est Marne et Bois, monsieur le maire, et on avait tous nos volontaires qui étaient là et qui tenaient des stands de sensibilisation. On a inauguré un brumisateur dans le quartier prioritaire, comme une alternative à la problématique du « street pooling ». Ce que l’on fait sur le parcours insertion, c’est d’utiliser les problématiques du quartier pour faire réfléchir les jeunes.
Mais le plus beau souvenir de Tarek a eu lieu un vendredi, à l’issue d’un atelier avec des parents du quartier.
Nous avons un parcours avec des jours bien spécifiques. La journée du vendredi est une journée où l’on doit mettre en œuvre des actions bien concrètes sur le terrain. Eh bien j’ai vu des jeunes qui étaient fiers de pouvoir faire des choses dans leur quartier. Ils voient qu’ils sont en mesure de mettre en place des actions visibles et utiles à la population et la plus belle satisfaction qu’ils peuvent avoir, elle a eu lieu récemment. On avait fait une animation qui s’appelait Les détectives éco-gestes où les habitants devaient passer d’une pièce à une autre et relever les intrus en matière d’économie d’énergie. Les habitants qui étaient présents à la fin de l’animation ont applaudi les volontaires du service civique. Je pense que ces applaudissements ont fait du bien à tout le groupe, y compris les personnes placés sous main de justice. On a entendu des parents dire, « J’ai appris des choses ». Et ça c’est la plus belle des satisfactions. Ils ont besoin de pouvoir se dire qu’ils sont utiles ailleurs que dans le « côté obscur de la force ».
Tous ces témoignages montrent à quel point le parcours insertion imaginé par l’association « DPF » remplit une mission qui va bien au-delà de ce qu’on attend généralement d’un service social dans un quartier sensible. En imaginant des ateliers originaux, décalés, en organisant des animations qui mobilisent les habitants du quartier, et surtout, en accueillant des publics qui, sans doute, ne se rencontreraient jamais, et notamment des jeunes qui se sentent relégués au ban de la société, l’association a su créer au sein du quartier des Hautes Noues une dynamique positive, constructive et rassembleuse.
Grâce à l’association, ces jeunes porteront la bonne parole autour d’eux. Et la tâche qui les attend est immense, car on peut s’interroger sur la sensibilité des habitants des quartiers comme les Hautes Noues à l’écologie. C’est ce que nous allons voir maintenant.