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D.S.R.

Scènes 45 à 84

SCÈNE 45
RELAIS-CHATEAU
ISABELLE - BÉNÉDICTE - HOTESSE - SERVEUSE - GROUPE DE CLIENTS - (PHILIPPE - MATTHIEU)

ISABELLE et BÉNÉDICTE prennent un verre au bar d’un relais-château. ISABELLE a commandé un double-whisky ; BÉNÉDICTE, un jus de tomate. Une JEUNE SERVEUSE les sert. Une HOTESSE s’approche des deux femmes…

L’HOTESSE
Votre table est prête dans un petit quart d’heure…

BENEDICTE
(À l’hôtesse) Merci… (À Isabelle) Alors ? Vous êtes convaincue ?…

ISABELLE
Je ne crois pas à cette histoire d’enlèvement par les extraterrestres…

BENEDICTE
Ne mélangez pas tout, Isabelle. J’ai seulement voulu vous montrer qu’elle avait bel et bien été enlevée. Est-ce par des extraterrestres ? Ça, votre enquête devra le déterminer.

ISABELLE
Mais quel est votre rôle dans cette affaire… ?

BENEDICTE
Je ne peux pas vous répondre, je suis désolée.

ISABELLE
Mais… S’ils ont diffusé les images, comme je le pense…, c’est toute la France et même au-delà, qui nous a vues ensemble. On va nécessairement me poser des questions sur vous.

BENEDICTE
Ça me paraît inévitable, Isabelle. C’est pourquoi je pense qu’à partir de maintenant, vous ne devez plus avoir aucun contact avec la presse…

ISABELLE s’étouffe presque en buvant.

ISABELLE
Mais, Bénédicte ! Je suis journaliste !…

BENEDICTE
Ce sera évidemment plus difficile pour vous… Mais vous devez disparaître quelque temps pour poursuivre votre enquête discrètement…

À ce moment, des CLIENTS, qui attendent aussi dans le bar mais assis à une table, discutent entre eux. L’un d’eux a remarqué la présence de la journaliste et la signale à ses amis, qui la regardent à leur tour. ISABELLE les a vus. Un des CLIENTS se lève et quitte rapidement le bar par une porte “privée”…

ISABELLE
Discrètement… ! C’est impossible… J’ai cessé depuis longtemps de passer inaperçue !

BENEDICTE
Vous voulez dire que votre notoriété vous empêche d’aller au fond des choses ?

ISABELLE n’en croit pas ses oreilles.

BENEDICTE
Excusez-moi un instant…

ISABELLE reste un instant interdite. BÉNÉDICTE descend de son tabouret, traverse le bar et ouvre la porte des toilettes. Elle disparaît à l’intérieur. Aussitôt ISABELLE se précipite sur le téléphone posé sur le bar.

ISABELLE
(À la serveuse) Vous permettez… ?

LA SERVEUSE
(Avec un sourire complice) Je vous en prie, mademoiselle Delamarre…

ISABELLE sourit tièdement et compose très vite un numéro de téléphone.

ISABELLE
Philippe ?!

PHILIPPE (OFF)
Isabelle ! Où es-tu passée ? Tout le monde te cherche ! Tu vas bien ?

ISABELLE
Oui, très bien… ! Je ne peux pas te parler longtemps… Tout est OK. Appelle Matthieu, dis-lui que je l’appellerai dès que je pourrai. Pour l’instant, je continue mon enquête, et…

PHILIPPE (OFF)
(L’interrompant) Ils veulent savoir qui était cette femme avec toi… ! Ils paniquent complètement ! Ils ont besoin de toi pour le 20 heures…

ISABELLE hésite. Elle surveille en permanence la porte des toilettes…

ISABELLE
Bon, je vais essayer de l’appeler. Je raccroche vite. Comment va Amélie… ?

PHILIPPE (OFF)
Bien. Bien. Mais tu m’inquiètes. Tu es sûre que tout est OK ?

ISABELLE
Oui, oui. Je n’ai pas de revolver sur la tempe ! Mais je pressée. Je t’embrasse.

Elle va pour raccrocher… Elle se ravise…

ISABELLE
Embrasse Amélie… !

Elle raccroche très vite puis, tout en continuant à surveiller la porte des toilettes, fait un autre numéro.

ISABELLE
Matthieu ? C’est Isabelle… !

MATTHIEU (OFF)
(Hurlant si fort qu’Isabelle écarte l’appareil de ses oreilles) Mais qu’est-ce que tu fous, bordel ?! On a failli se planter au 13 heures ! Va tout de suite voir Sylvain pour préparer le 20 heures ! Qui c’est cette femme ?! T’as pu voir Laetitia ?! Je te veux en direct au 20 heures ! T’es où d’abord ?! Tu vas bien ! Pas de problèmes ?!

ISABELLE
(Surveillant toujours la porte des toilettes) Ah, quand même ! T’aurais pu commencer par ça !

MATTHIEU (OFF)
Excuse-moi, mais si tu savais ici… ! Les émeutiers ont attaqué pendant le journal. Ils voulaient intervenir en direct… Ils ont été repoussés mais c’est un carnage. Donne-moi un numéro de téléphone où je peux te joindre.

ISABELLE
C’est moi qui t’appellerai… Dès que je peux, je rejoins Sylvain…

Elle raccroche.

ISABELLE
(À la serveuse) Un autre whisky… ! Double… !


ISABELLE observe toujours la porte des toilettes. Elle s’interroge : BÉNÉDICTE met bien du temps. ISABELLE boit une grande gorgée de whisky puis se dirige vers les toilettes. Tout à coup, au moment où elle saisit la poignée, elle est prise d’inquiétude. Mais elle se domine et ouvre la porte.

ISABELLE (Voix intérieure)
Tu voulais du terrain, ma vieille… !

SCÈNE 46
TOILETTES RELAIS-CHATEAU
ISABELLE

ISABELLE inspecte rapidement les toilettes du relais-château. Elle sont vides…

Son attention est attirée par le vasistas, dont la vitre est cassée. Elle imagine que BÉNÉDICTE a disparu par cette voie. Elle constate avec stupeur que deux des barreaux qui protégeaient l’issue ont été écartés… en les faisant fondre !

ISABELLE décide de sortir par le même chemin en grimpant sur le radiateur voisin…

SCÈNE 47
EXTÉRIEUR RELAIS-CHATEAU
ISABELLE

ISABELLE se retrouve à l’extérieur du relais-château. C’est une façade à l’abri des regards. C’est l’arrière de la partie moderne, qui communique avec les cuisines…

En longeant la façade, ISABELLE découvre bientôt d’autres barreaux fondus et la vitre d’un vasistas cassée. Elle ne comprend pas très bien le sens de ce fait, mais elle imagine que Bénédicte a dû passer par là. Elle examine la pièce située en sous-sol. C’est un bric-à-brac de vieilles tables et de vieilles chaises de jardin, des parasols, etc… ISABELLE se glisse à l’intérieur par le vasistas…

SCÈNE 48
BAR RELAIS-CHATEAU
MOTARD (JEFF) - JEUNE SERVEUSE - HÔTESSE

JEFF se présente au comptoir du bar.

JEFF
(À la jeune serveuse) Un jus de tomate…

La JEUNE SERVEUSE le sert, non sans éprouver quelque méfiance étant donné son look très particulier.

L’HOTESSE revient dans le bar. Elle est surprise de ne plus voir Isabelle et Bénédicte.

HOTESSE
(À la jeune serveuse) Mademoiselle Delamarre est partie ?

JEFF dresse l’oreille…

JEUNE SERVEUSE
Elle est allée aux toilettes… son amie aussi.

HOTESSE
Ah ! Dès qu’elles reviennent, tu leur dis que leur table est prête…

L’HOTESSE s’adresse ensuite à JEFF, dont le look ne lui plaît pas non plus…

HOTESSE
Monsieur ? Vous avez réservé ?

JEFF
Non… Je bois juste un verre…

HOTESSE
Je suis désolée mais nous ne servons que les clients qui déjeunent…

JEFF
(Contenant sa rage) OK. Je finis mon verre et je m’en vais…

L’HOTESSE lui sourit poliment puis s’éloigne. JEFF finit son jus de tomate et se dirige vers les toilettes…

SCÈNE 49
DIVERS LIEUX SOUS-SOL RELAIS-CHATEAU
ISABELLE


ISABELLE, très prudemment, inspecte le bric-à-brac puis sort par une porte. Elle tombe sur un couloir avec deux portes. L’une d’elle est ouverte et donne sur un escalier qui conduit à l’extérieur. La seconde l’intéresse davantage car la serrure est entièrement fondue…

SCÈNE 50
TOILETTES RELAIS-CHATEAU
JEFF

JEFF a inspecté les toilettes sans trouver les deux femmes. Il examine le vasistas et grimpe sur le radiateur mais sa forte stature l’empêche de passer entre les deux barreaux écartés. Il doit renoncer… Ce qui le met en rage.

SCÈNE 51
SOUS-SOL RELAIS-CHATEAU
ISABELLE


Poursuivant son exploration du sous-sol, ISABELLE découvre derrière la porte à moitié fondue un couloir avec une enfilade de portes. L’endroit ressemble moins au service administratif d’un relais-château qu’à un laboratoire de recherches ! Murs, plafonds et sol métalliques, portes comme dans un sous-marin, etc… Toutes sont fermées. ISABELLE ne sait que faire. Mais, en examinant l’une d’elles, elle s’aperçoit que le métal a été fondu. La déformation provoquée par la chaleur fait comme une empreinte de main… Comme les autres portes n’ont pas cette marque étrange, ISABELLE décide de l’ouvrir. Elle tourne la grande roue qui en assure l’ouverture.


Elle découvre alors un très grand garage, entièrement “métallisé”. Au centre est stationné un curieux véhicule enrobé d’une sorte de matière fibreuse, comme une boule de brouillard…

ISABELLE est clouée sur place ! Elle a découvert le pot-aux-roses ! Voilà donc les prétendus extraterrestres ! Un vulgaire camping-car entouré de mousse !

ISABELLE
C’était donc ça, les extraterrestres !... Je le tiens mon scoop !

SCÈNE 52
EXTÉRIEUR RELAIS-CHATEAU
JEFF - JEUNE LIVREUR

JEFF sort du château. Il retourne au parking. La voiture de BENEDICTE n’est pas là. Il s’approche de sa moto et découvre que les pneus sont dégonflés. Il a un petit sourire en pensant que c’est Bénédicte qui a fait le tour. Il ne se démoralise pas et s’en va en “empruntant” une petite camionnette de service dont le moteur était resté en marche. On voit un JEUNE LIVREUR s’éloigner en portant des cartons vers le relais-château… En entendant sa camionnette démarrer, il se retourne et reste bouche bée.

SCÈNE 53
GARAGE SOUS-SOL
ISABELLE - HOMMES

ISABELLE examine le “véhicule” et dégage par endroit la matière fibreuse. Elle découvre ainsi une sorte de camping-car modifié. Des lumières ont été ajoutées sur les flancs. Des hublots ronds remplacent les fenêtres carrées. Elle passe à l’arrière du véhicule, retire la matière fibreuse et ouvre la porte arrière. L’intérieur a été aménagé comme une sorte de laboratoire spatial. Une table occupe le centre. Les murs sont tapissés de faux instruments. Dans un coffre au sol, sont déposés des masques en latex ressemblant à des extraterrestres : visage triangulaire, crâne sur-développé…

ISABELLE est prise d’inquiétude. Certes, elle a la confirmation que l’hypothèse extraterrestre était fausse, mais elle se demande qui a monté cette opération. Elle n’a pas le temps de s’interroger davantage. Des HOMMES apparaissent derrière elle (il s’agit notamment d’un des hommes présents au bar). L’un d’eux plaque un coton sur son nez et sa bouche pendant qu’un autre l’immobilise. Elle perd connaissance…

SCÈNE 54
BUREAU MATTHIEU
MATTHIEU - BERTRAND

MATTHIEU reçoit BERTRAND, le présentateur du journal. Leur attention est tournée vers le téléphone. Ils attendent visiblement un appel d’Isabelle.

Long silence.

MATTHIEU décroche un autre téléphone.

MATTHIEU
On n’a rien du côté de Sylvain ?

Il écoute la réponse puis raccroche.

MATTHIEU
(À Bertrand) Aucune nouvelle…

BERTRAND
(Regardant sa montre) À mon avis, c’est râpé pour le 20 heures. Elle aurait déjà appelé.

MATTHIEU
Sylvain m’a confirmé qu’elle voulait travailler de son côté. On s’inquiète pour rien. Arriver déjà à entrer dans la maison de Laetitia, c’était très fort ! Un sacré boulot ! (Matthieu regarde à son tour sa montre). Bon. On va la jouer très professionnel ce soir. Il faut que tu me fasses un grand jeu. D’après Sylvain, personne n’a réussi à avoir d’information sur la fille qui était avec Isabelle. Donc, ON est les seuls à avoir le tuyau.

BERTRAND
(Pince sans rire) “ON” l’a peut-être mais “ON” ne sait pas ce qu’il y a dedans.

MATTHIEU
Mais Isabelle le sait. C’est pareil.

BERTRAND
Sauf qu’elle a peut-être été enlevée par les hommes verts, elle aussi !

MATTHIEU s’apprête à sortir une vacherie. Il hésite, et récupère la balle au bond.

MATTHIEU
(Au second degré) C’est encore mieux pour nous…

BERTRAND sourit.

MATTHIEU
Je plaisante… Donc, ce soir, Pas de direct avec Sylvain. On repasse juste les images de ce matin, et tu annonces un reportage entier là-dessus, jeudi, dans une émission spéciale, avec Isabelle. Jeudi, c’est après-demain : c’est pas trop près, c’est pas trop loin, ça nous laisse une marge de manœuvre pour rectifier le tir si on a du nouveau ce soir ou demain. OK ?

BERTRAND
Je vois le truc… Genre : “On a un coup fumant mais c’est trop tôt pour vous le balancer dans la tronche” !

MATTHIEU
Si tu veux…

MATTHIEU décroche son téléphone de service.

MATTHIEU
Prévenez Sylvain qu’on annule son direct.

Il raccroche. À BERTRAND :

MATTHIEU
Sur les émeutes, le préfet est clair. Les émeutiers veulent parler au pays. Ils condamnent notre traitement…

BERTRAND
Z’ont peut-être pas tort…

MATTHIEU
Sauf que les types qu’on a contacté jusqu’à présent, c’est des allumés qui racontent n’importe quoi. Tant qu’on n’est pas sûr d’avoir les vrais responsables, on diffuse rien. Alors, on y va mollo sur l’assaut de notre bâtiment. On relate sans en faire des tonnes. Et on passe tous les autres reportages qu’on a sur les incidents de province.

BERTRAND
Tu crois qu’on va pouvoir rentrer se coucher chez nous, ce soir ?

MATTHIEU
D’après le préfet, il ne devra pas y avoir d’autres problèmes. On est en train de mettre en place un studio de secours à l’extérieur de Paris. Au cas où.

BERTRAND
Bon. On va essayer de garder au maximum son sens de l’humour…

MATTHIEU
Fait un dosage subtil. On en est déjà à 300 morts. Le tiers du pays est au chômage technique… et les deux autres tiers ont la trouille.

BERTRAND
Et nous ? On va être bientôt dans quel tiers ?

SCÈNE 55
EXTERIEUR HOTEL BENEDICTE
MARC


C’est la nuit. MARC sort de l’hôtel où séjournait BENEDICTE. Il est venu aux nouvelles. À sa mine déçue, on devine qu’il n’a eu aucune information. Il soupire et marche dans le parking devant l’hôtel. Petit à petit, pour passer sa nervosité, il se met à boxer dans le vide.

SCÈNE 56
BISTROT
PHIL - MARCELLE - GUILLAUME - CLIENTS

C’est l’heure du déjeuner. PHIL mange seul à une table. Malgré le brouhaha ambiant, on commence à percevoir le bruit sourd de coups. PHIL dresse l’oreille. Mais il est le seul à avoir perçu quelque chose.

Le bruit devient de plus en plus fort. Fort et lugubre, comme montant des profondeurs de la terre. Peu à peu, la plupart des CLIENTS entendent le bruit et s’interrogent…

MARCELLE, la patronne, alertée par le bruit, sort de sa cuisine et va vers PHIL.

MARCELLE
Hé, p’tit ! Descends voir ton pote et dis-lui de la mettre en sourdine. Je veux bien lui prêter ma cave mais faut pas qu’il fasse fuir la clientèle. Allez…

PHIL
Marc ?!…

MARCELLE
(Lui indiquant une porte marquée “privé”) C’est par là…

Sans ajouter un mot, elle retourne à sa cuisine. PHIL se lève et va vers la porte de la cave.

SCÈNE 57
CAVE BISTROT
PHIL - MARC

PHIL descend lentement les escaliers de la cave. Les bruits sourds s’amplifient.

Arrivé en bas de l’escalier, PHIL découvre MARC en tenue de boxeur thaïlandais (torse et pieds nus, en short) donnant de violents coups de pieds dans un sac de frappe pendu au plafond de la cave. MARC étant de dos, il ne voit pas PHIL, qui le laisse continuer un instant, fasciné par la violence des coups que porte son ami. MARC alterne les coups avec la jambe droite et avec la jambe gauche, les coups en bas du sac et les coups en hauteur. Ces derniers exigent une souplesse que MARC n’a pas encore, et qu’il travaille justement au sac. Il peine donc un peu, ce qui le met en rage et redouble sa violence.

MARC tourne légèrement autour du sac et bientôt découvre PHIL. Il ne s’interrompt pas pour autant. Il lui adresse un clin d’œil complice et continue ses frappes. Il s’arrête bientôt pour reprendre son souffle.

MARC
Qu’est-ce t’en penses ?

PHIL
La patronne trouve que tu fais trop de bruit… Tout le monde t’entend là-haut !

MARC
(De manière enfantine, comme s’il était heureux de jouer un bon tour aux autres) C’est vrai ?!

PHIL
Elle veut que tu arrêtes…

MARC
J’ai fini, de toute façon…

MARC s’essuie avec sa serviette et va s’asseoir sur une caisse pour se rhabiller.

MARC
(Montrant le sac) C’est un pote qui me l’a fourgué. Je suis content. Il est bien dur… Avec ça, je vais pouvoir bien m’entraîner.

PHIL
Tu te mets à la boxe thaï ?

MARC
Exactement. Avec mon pote, je suis allé voir un combat hier soir. Ça m’a vraiment plu, je t’assure… Je vais en faire. J’aime trop la philosophie asiatique.

PHIL
Pourquoi tu t’entraînes pas dans un club, comme tout le monde… ?!

MARC
Hé, t’as vu, j’arrive pas à lever la jambe, ça craint… Je préfère être bien prêt… (Un petit temps) J’ai déjà pensé à l’histoire du bruit… Je vais calfeutrer la porte avec de la mousse et c’est bon. (Il montre un des murs de la cave). Et là, je vais m’installer une poire. Là, je vais virer tout ça (Il montre des caisses et des présentoirs hors d’usage) pour les assouplissements. Qu’est-ce t’en penses ? Ça va être cool ?

PHIL
Je croyais que tu arrêtais la boxe…

MARC
J’arrête l’”anglaise” mais la “thaï”, c’est trop bien… ! T’as les poings, les pieds, les genoux, les coudes, les corps-à-corps. Je te jure, c’est MON sport… Et puis, c’est un super pays la Thaïlande. J’irai faire des combats là-bas. Mon pote, il y retourne cet hiver ; je vais y aller avec lui. Qu’est-ce que t’en penses… ?

PHIL se contente de hausser évasivement les épaules. Il n’en pense rien.

MARC
Je t’assure, les Thaïlandaises, c’est des canons… ! Tu peux me croire…

PHIL sourit.

SCÈNE 58
CANAL
MARC - FOUAD - FRANCK puis BÉNÉDICTE

MARC arrive sur le pont qui passe au-dessus du canal. Il regarde l’allée en contre-bas, qui longe le canal. Habituellement, il descend la petite rampe et continue à courir dans l’allée. Mais, là, une appréhension le retient. Pourquoi ? Il ne comprend pas. Il fait ce parcours très souvent. Pourquoi cette peur ?

Il voit arriver la camionnette de FOUAD et FRANCK. Les deux hommes partent faire un marché et s’arrête à sa hauteur.

FOUAD
Alors, Marc, ça va depuis l’autre fois ?

MARC
(Sans trop comprendre de quoi ils parlent) Oui, ça va. Pourquoi ça irait pas ?

FOUAD
Il y avait du brouillard, l’autre fois. On s’est dit : il y voit pas à un mètre, il va tomber dans le canal.

MARC
Non, ça s’est bien terminé.

FOUAD
Bonne journée !

MARC
Vous aussi. Merci !


La camionnette s’éloigne. MARC descend et longe le canal. Sur le sol, il voit des marques inhabituelles. Qu’est-ce qui s’est passé à cet endroit-là ? Et si on l’avait jeté dans le canal ?

Au loin, BÉNÉDICTE apparaît au bord du canal. MARC s’approche en commençant son jogging. Il dissimule sa joie et va vers elle…

MARC
Où t’étais passée ?

BENEDICTE
Une parente à aller voir dans le coin…

MARC
Excuse-moi pour l’autre fois, mais la boxe, c’est trop important pour moi…

BENEDICTE
Mais pourquoi es-tu si dur ?

MARC
Hé ! C’est comme ça ! C’est pas de ma faute ! C’est la vie ! Et elle est dure. Si tu te bats pas, crois-moi, tu te fais bouffer.

BENEDICTE
C’est parce que les hommes sont durs, que la vie est dure…

MARC
C’est pas moi qu’a fait le monde. J’ai rien demandé à personne, je t’assure. Je suis là, je regarde, et, crois-moi, j’ai compris ce qu’il faut faire.

BENEDICTE
Et c’est comme ça que vous vous piéger tous, vous les hommes… Vous vous êtes enfermés entre des cordes, comme sur un ring, et vous passez votre vie à vous battre…

MARC
A propos, tu sais quoi ? Je fais de la boxe thaïlandaise maintenant… Je vais aller en Thaïlande avec un pote cet hiver. C’est cool, hein… ? (Un petit temps) J’aimerais bien prendre un bain… On va dans ton hôtel… ?

BENEDICTE acquiesce. Ils s’éloignent.

SCÈNE 59
SALLE DE BAIN CHAMBRE D’HÔTEL
MARC - BÉNÉDICTE

Jeu érotique entre MARC et ISABELLE qui se déshabillent mutuellement en s’embrassant tandis que l’eau coule dans la baignoire. Celle-ci est presque remplie.

À la fin du jeu, MARC plonge un pied dans l’eau, qui est froide ! Il pousse un petit cri et le retire aussitôt…

MARC
Ah, je le crois pas ! C’est froid !

BÉNÉDICTE, sans rien dire, écarte MARC et entre dans le bain, apparemment sans être gênée.

MARC
Moi, je te le dis sincèrement, j’y vais pas… !

BÉNÉDICTE ne dit rien. Elle ferme les yeux et se concentre. MARC l’observe sans savoir quoi penser. Il remarque seulement que de la fumée commence à s’échapper peu à peu de l’eau…

BÉNÉDICTE ouvre les yeux.

BENEDICTE
C’est bon, tu peux venir…


MARC entre à son tour dans le bain… L’eau est devenue chaude.

MARC
Ah, là, faudra que tu m’expliques… !

BENEDICTE
Si tu oublies le corps, tout est possible…

MARC
Ouais, bah moi, je l’oublie pas…

BENEDICTE se contente de sourire. MARC l’enlace et l’embrasse… BÉNÉDICTE prend un plaisir sincère avec lui et lui répond passionnément…

SCÈNE 60
LIVING DELAMARRE
PHILIPPE - PATRICK - ANNIE - BÉATRICE - AMÉLIE

C’est le soir. PHILIPPE reçoit le couple d’amis vus dans la scène de la brasserie, PATRICK et ANNIE. Ils prennent l’apéritif dans le salon. BÉATRICE, la baby-sitter, et AMÉLIE sont dans l’escalier. AMÉLIE est en pyjamas…

BÉATRICE
Amélie, dis au revoir à tout le monde…


AMÉLIE agite ses mains, son ours et son téléphone portable pour dire au revoir. Puis BÉATRICE l’entraîne vers sa chambre au premier…

ANNIE
Elle est adorable.

Un temps. On boit un peu.

ANNIE
Elle ne réclame pas trop sa mère… ?

PHILIPPE
Ça va. Isabelle lui avait dit qu’elle partait pour quelques jours. Elle lui manque, mais elle ne s’inquiète pas…

PATRICK
Toi, si…

PHILIPPE
Ça dépend des moments… Quand je l’ai eu au téléphone, il y a huit jours, elle était très excitée, mais rien d’anormal. Je ne comprends pas ce qui a pu lui arriver. On a appelé la gendarmerie, les hôpitaux de la région… Je me dis qu’elle est peut-être très occupée par son enquête…

ANNIE
On a pourtant retrouvé sa voiture et ses affaires…

PHILIPPE
Ça ne veut rien dire. Elle est peut-être encore avec cette femme…

PATRICK
On ne sait toujours pas qui c’est ?

PHILIPPE
Si. On a un peu plus d’informations. Les gendarmes ont interrogé les parents de Laetitia. Elle s’était présentée comme une Ufologue…

ANNIE
Une quoi ?!

PHILIPPE
Une personne qui s’occupe du phénomène OVNI, “UFO” en anglais… Elle leur a dit qu’elle avait étudié beaucoup de cas d’enlèvements semblables, qu’elle pourrait peut-être faire parler leur fille, en tout cas l’aider un peu…

PATRICK
Oui, donc, ça veut dire qu’Isabelle continue l’enquête avec elle…

PHILIPPE
C’est ce que je me dis… Tout ça c’est entre nous. La presse ne sait pas qui est cette femme. (Un petit temps) Elle pourrait quand même trouver un moment pour appeler. À la chaîne, il ne savent pas comment s’en sortir…

PATRICK
Comme tout le monde parle de ça en ce moment, on en a discuté l’autre jour au congrès du Parti… Dans les couloirs, je te rassure… !

PHILIPPE
Ah bon, je croyais le Parti Démocrate allait devenir une secte d’adorateurs d’extraterrestres…

PATRICK
Oui, remarque, par moment, ça ressemble un peu à ça ! Tous les mecs qui Conseil sont tellement loin de la réalité… ! Tout ce qu’ils voient dans les émeutes, c’est un moyen de reprendre le pouvoir, le reste… Enfin, bon, je reviens à mon truc. J’en ai parlé avec Casenave qui s’intéresse beaucoup à ça. Lui, il pense que c’est politique… Les services secrets peuvent très bien organiser un enlèvement, faire une mise en scène avec laboratoire, petits hommes verts, etc… Ils font absorber une drogue qui rend amnésique, et le tour est joué…

PHILIPPE
Dans quel but ?

ANNIE
Dans le but de manipuler l’opinion. Ça se voit en ce moment, on parle plus de ça que des émeutes…

PATRICK
En fait, les gens sont trop crédules. Les gouvernements sont inquiets, surtout aux États-Unis, parce qu’en France, le risque est moins grand, on est plus “rationnels”…

ANNIE
Tu trouves ?!!

PATRICK
Un peu plus que les autres, quand même… ! Du coup, n’importe quel groupe de pression, n’importe quelle organisation peut très bien manipuler une population en se faisant passer pour des extraterrestres ou des pseudo-contactés.

PHILIPPE
Bah, justement, en montant des coups comme ça, ils accréditent le truc…

PATRICK
Non, parce que, d’après Casenave, l’astuce c’est ensuite de révéler la supercherie. On laisse les gens accrocher un moment au truc, on les laisse rêver — ça ne fait de mal à personne — et après, on s’arrange pour que quelqu’un — la presse — par exemple, découvre que c’était bidon, monté. Et du coup, tout le phénomène est discrédité.

PHILIPPE
Ça veut dire qu’Isabelle, en ce moment, est peut-être aux mains des services secrets !

PATRICK
Deux solutions. Ou ils cherchent à utiliser sa notoriété pour accréditer la thèse des enlèvements, ou ils en sont déjà à la seconde phase et ils vont l’amener à démonter la supercherie…

PHILIPPE
Tu me fais peur, là… Dans les deux cas, elle est manipulée…

ANNIE
Ne t’inquiète pas. Si c’est ça, Isabelle va réapparaître bientôt…

PHILIPPE
Ah, t’es rassurante !

À ce moment, BÉATRICE revient du premier étage…

PHILIPPE
(À Béatrice) Elle dort ?

BÉATRICE
Oui… Pas facile, mais elle s’est endormie…

PHILIPPE
OK. On passe à table !…

Tout le monde se lève et quitte le salon.

SCÈNE 61
EXTÉRIEUR MAISON DELAMARRE
JEFF

À l’extérieur de la maison des Delamarre, un fin brouillard flotte dans l’atmosphère. JEFF, le motard est arrêté, pas très loin de la maison. Il reste immobile un instant, puis remet son casque et démarre.

SCÈNE 62
EXTÉRIEUR PARKING
JEFF

JEFF arrive à l’entrée d’un grand parking, en périphérie de Paris. Il comporte plusieurs niveaux supérieurs, et plusieurs niveaux dans le sous-sol. JEFF entre dans le parking.

SCÈNE 63
SOUS-SOL PARKING
JEFF

On suit JEFF dans la rampe du parking. Il descend tous les niveaux les uns après les autres. C’est comme si, dans un mouvement de spirale, il s’enfonçait dans les entrailles de la terre. Cela dure un certain temps.

Il arrive au dernier sous-sol, descend de sa moto et ouvre à clef une petite porte de service. Il continue sa descente dans un escalier en colimaçon. Cela dure aussi un certain temps…

SCÈNE 64
LABORATOIRE-PARKING
JEFF - GEOFFROY

JEFF ouvre la porte d’une vaste pièce où le moderne et le très ancien se mélangent dans la décoration. Les murs sont en béton, comme les autres niveaux du parking. Il y a également de nombreux piliers, qui délimitent des zones : cuisine, salle à manger, chambres, bibliothèque, et surtout espace de musculation. La cuisine, ultra-moderne, n’a rien de quotidien, c’est une sorte de laboratoire, avec de nombreux appareils, de nombreuses étagères où sont alignés des pots contenant différentes poudres…

Ce même mélange de moderne et d’ancien se retrouve dans la bibliothèque : très vieux livres — comme des grimoires — alignés sur des étagères en acier…

Cela ressemble à l’antre d’un alchimiste des temps modernes…

Dans le coin cuisine, GEOFFROY est en train de préparer une mixture en consultant un vieux livre… GEOFFROY est un homme d’une cinquantaine d’années, avec de longs cheveux dans la nuque. Il porte aussi deux anneaux aux oreilles. Il est de forte stature. Il est torse nu, si bien qu’on peut voir que, malgré son âge, il a encore un corps très musclé et très ferme. C’est, pour ainsi dire, JEFF dans quelques dizaines d’années…

JEFF entre. Les deux hommes ne se disent rien. GEOFFROY est très absorbé par la préparation de sa mixture. JEFF retire la tenue de cuir et apparaît en short. Il va alors vers GEOFFROY qui lui tend le verre contenant la mixture brunâtre. Il la boit, puis va dans l’espace musculation et s’assied à un appareil pour pratiquer des exercices avec une barre d’haltères. GEOFFROY, de son côté, prend son grimoire et va s’asseoir dans un fauteuil, dans le coin salon.

On suit quelques instants JEFF dans ses exercices. Il lève plusieurs fois la barre et peine de plus en plus. GEOFFROY l’observe du coin de l’œil. JEFF repose enfin la barre épuisé. Il soupire. GEOFFROY, soupire aussi, voyant les difficultés de son élève. Les deux hommes échangent un regard : “Qu’il est long et difficile le chemin !”…

GEOFFROY
Tu as revu Bénédicte ?

JEFF
La salope ! Elle a failli me niquer la gueule !

La grossièreté de JEFF fait sursauter GEOFFROY.

GEOFFROY
Il faudra un jour qu t’évacue toute cette merde de ton vocabulaire comme tu évacues la merde qu’il y a dans ton corps...!

JEFF
J’ai pas pu contacter la journaliste. Elle se la garde pour elle, mais attends ! Elle sait pas que je vais la baiser, parce que j’ai mené mon enquête et maintenant, je sais où elle habite, la journaliste… Mais elle était pas chez elle… Elles ont disparu toutes les deux. C’est une garce, crois-moi… !

GEOFFROY
Arrête de parler comme ça ! On est en train d’épurer petit à petit ton corps, mais si tu n’épures pas ton langage et tes pensées c’est comme si on ne faisait rien… Tu sais bien que Bénédicte est très déçue à cause de ça. Si tu travailles, elle te reviendra…

JEFF
C’est une garce, je te dis !

GEOFFROY lève les yeux au ciel et replonge dans son grimoire. JEFF reprend ses exercices…

GEOFFROY
Souviens-toi : “Dissoudre tous les éléments, puis les séparer, et de nouveau les réunir”…

JEFF hausse les épaules puis lève sa barre…

JEFF
Comprends pas.

GEOFFROY
C’est le principe alchimique. Au départ tous les éléments de ton corps sont mélangés. Les protéines, les lipides, les glucides. Tout l’entraînement consiste à éliminer ceux qui sont nocifs à ton corps — l’excès de graisse, toute cette eau que tu stockes — pour que tu sois parfaitement sec et affûté.

JEFF
(En se levant et en allant se planter devant le miroir) Ça j’ai compris, mais « Dissoudre, séparer, réunir », c’est quoi ce bordel ?

GEOFFROY
Il est inutile que tu comprennes les mots. Seul le processus importe. Au Moyen-Âge, les alchimistes l’utilisaient pour transformer le plomb en or.

JEFF
Si un truc pareil marche, ça m’intéresse !

GEOFFROY
Mais, non, c’est symbolique. En fait, ce qu’ils transformaient en or, c’était leur âme.

JEFF
À l’époque, on avait encore une âme.

GEOFFROY
On en a toujours une, individu stupide !

JEFF
Bah, moi, je crois pas.

GEOFFROY
Et comme les alchimistes purifiaient leur âme en purifiant les métaux pour en faire de l’or, eh bien moi, je t’apprends à purifier ton organisme pour purifier ton âme.

JEFF
Oui, je sais, tu m’as déjà pris la tête cent fois avec tes conneries. Moi, ce que je veux c’est du volume. De la masse. C’est tout. Le reste ça me casse les couilles.

Geoffroy tente de garder son calme.

GEOFFROY
L’important est que je te forge un corps parfait, grâce à l’entraînement et à mes breuvages. Grâce à eux, tu élimines tout ce qui est nocif en toi. Et petit à petit ton esprit va briller comme de l’or pur...

JEFF
Sincèrement, je préférerais avoir des couilles en or !

SCÈNE 65
CAVE BISTROT
MARC - STÉPHANE - PHIL

MARC, à l’heure du déjeuner, est en train de s’entraîner dans la cave du bistrot. Son ami STÉPHANE, même âge et même allure sportive que MARC, “tourne” avec lui. Un magnéto-cassette diffuse une musique thaïlandaise envoûtante.

Les deux garçons échangent des coups sans violence, de manière très technique : coups de poing, coups de genou, coups de pied, coups de coude. STÉPHANE rectifie les gestes de MARC en décomposant les mouvements. Il l’entraîne aussi au “corps-à-corps”. Il saisit MARC par la nuque, pratique une série de coups de genou, pendant que MARC s’efforce de se dégager et de faire chuter STÉPHANE, un peu comme au judo.


MARC, qui compense par la force le manque de technique, domine STÉPHANE, lequel, se retrouvant par terre en sortie d’un corps-à-corps jette pour ainsi dire l’éponge…

MARC
Alors ? Qu’est-ce t’en penses ?

STÉPHANE
Faudrait vraiment que tu viennes au club… Tu comptes trop sur ton “anglaise”, la boxe thaï, c’est surtout les jambes… et les corps à corps… Tu t’en tires en force, mais si t’apprenais des astuces techniques, tu dépenserais moins d’énergie… Tu dois oublier le corps… C’est par la tête que tu pourras progresser…

MARC
Ouais… Ma meuf elle m’a dit ça aussi… !

STÉPHANE
On fait quoi, alors ? Je parle de toi à Maurice, mon entraîneur… ?

MARC a une mine dégoûtée…

MARC
J’ai pas de tunes…

STÉPHANE
Je verrai avec lui. Il cherche des compétiteurs. Y’a sûrement moyen de s’arranger…

MARC
Ah, c’est cool !

SCÈNE 66
ROUTE CAMPAGNE
ISABELLE - DEUX JEUNES

ISABELLE, hébétée, sort d’un bois et court le long d’une route. Elle tente d’arrêter plusieurs voitures. Elle est mal coiffée, mal maquillée, personne ne semble la reconnaître. Cela rend humble !

Une voiture, enfin, avec deux jeunes à bord, s’arrête et la prend en stop.

ISABELLE
Oh merci, Messieurs, merci. Je suis Isabelle Delamare, la présentatrice du 20 heures et...

DEUX JEUNES
C’est ça, et nous on est les frères Bogdanov ! Montez !

SCÈNE 67
CHAMBRE ISABELLE
ISABELLE - AMÉLIE - PHILIPPE

ISABELLE dort dans son lit. La porte s’ouvre lentement, poussée par la petite AMÉLIE qui meurt d’envie de réveiller sa mère mais n’ose pas. Derrière elle se tient PHILIPPE. Il la pousse en avant.

ISABELLE sort peu à peu de son sommeil et ouvre les yeux. Elle sourit à AMÉLIE qui se précipite dans ses bras. PHILIPPE entre aussi dans la chambre et va tirer les rideaux. La pièce est inondée de soleil.

ISABELLE et AMÉLIE ne se disent rien. Elles se serrent dans les bras l’une de l’autre et se couvrent de baisers. ISABELLE est très émue, presque au bord des larmes. PHILIPPE est rassuré et détendu. Il laisse l’émotion s’écouler.

ISABELLE se redresse. AMÉLIE monte sur le lit et se blottit dans ses bras.

PHILIPPE
Bien dormi ?

ISABELLE
Combien de temps ?…

PHILIPPE
Deux jours…

ISABELLE n’en revient pas, mais comme ce n’est pas une catastrophe, au contraire, elle en sourit. Puis :

ISABELLE
Ah, je comprends pourquoi j’ai si faim !

PHILIPPE
C’est signe que le moral est bon…

ISABELLE
(Très second degré) Oh, mon moral est au top… ! J’ai un gros trou béant de quinze jours dans ma tête, mais, à part ça, ça va…

PHILIPPE
(Entrant dans son jeu) Qu’est-ce que c’est quinze jours sur une vie entière !

ISABELLE
(Se protégeant de la folie en la jouant) Absolument…

PHILIPPE
(Venant s’asseoir près d’elle sur le lit) Je suis sûr que tu as dans ton passé des quantités de “quinze jours” dont tu n’as aucun souvenir…

ISABELLE
(Même jeu) Mais, bien sûr… ! Mais, je ne sais pas pourquoi, ces “quinze jours”-là, j’y tiens plus qu’aux autres… C’est bête…

PHILIPPE
(Cassant définitivement le jeu) Sérieusement, rien ne t’est revenu ?

ISABELLE
Rien. Avoir un scoop d’enfer et ne plus s’en souvenir ! Tu crois que Matthieu va comprendre ça ?!

PHILIPPE
(Sans appel) Non.

ISABELLE
J’ai un vague souvenir de l’entretien avec Laetitia et cette femme mais après, c’est le trou noir complet. Mais, en même temps, je sens qu’il s’est passé plein de choses. C’est creux… et c’est très plein aussi… Suis-je claire ?

PHILIPPE
Complètement. (Un petit temps d’hésitation) Peut-être que sous hypnose… ?

ISABELLE
Et puis quoi, encore ! Non, non !

PHILIPPE
Tu as peur que j’apprenne tout ce que j’ai toujours voulu savoir sur toi et que je n’ai jamais osé te demander… !

ISABELLE
(D’abord surprise, puis s’attendrissant)
Absolument. Absolument.

Lentement, PHILIPPE se penche vers ISABELLE pour l’embrasser. Coincée entre les deux la petite AMÉLIE pousse un cri. ISABELLE et PHILIPPE s’écartent aussitôt.

ISABELLE
Pauvre p’tit bout, on allait l’étouffer !

ISABELLE serre sa fille contre son cœur d’une main, et PHILIPPE de l’autre. Elle est très émue.

SCÈNE 68
BUREAU MATTHIEU
ISABELLE - MATTHIEU

ISABELLE est en rendez-vous avec MATTHIEU.

MATTHIEU
Je veux bien tout comprendre, mais comment je vais annoncer ça… Jusqu’à présent, on a fait croire que tu avais disparu pour mener ton enquête, mais maintenant que tu es revenue, on ne va pas pouvoir continuer à se taire…

ISABELLE
Je poursuis mon enquête, c’est simple…

MATTHIEU
Mais tu connais les journaux, ils s’intéressent aussi à toi. Tu as vu les articles… InfoSoir a laissé entendre que tu avais peut-être été enlevée toi aussi… ! Il y a des tas de rumeurs qui ont circulé. Et plus on se taisait, plus on avait l’air de les confirmer… !

ISABELLE
Il n’est pas question pour moi que je prenne la parole en public tant que je n’y vois pas plus clair… C’est trop grave. J’ai été enlevée et droguée. Philippe pense qu’on cherche à me manipuler.

MATTHIEU
Justement ! Si tu déballes tout à l’antenne tu seras moins vulnérable.

ISABELLE a un petit rire nerveux.

ISABELLE
Mais déballer quoi ?! J’ai un trou de quinze jours dans la tête ! Il faut que je continue mon enquête discrètement.

MATTHIEU
Discrètement ! Tu es la journaliste la plus célèbre de France !

ISABELLE
Je me débrouillerai… Ma notoriété ne doit pas m’empêcher d’aller au fond des choses… Je dois…

ISABELLE s’interrompt. En prononçant ces paroles, elle éprouve une impression de “déjà entendu”. Elle est troublée…

MATTHIEU
Qu’est-ce que tu as ?

ISABELLE
Rien… Rien…

SCÈNE 69
SALLE DE MONTAGE
ISABELLE - JOURNALISTE

Isabelle est dans une salle de montage de la chaîne en compagnie d’un journaliste spécialisé dans les questions scientifiques. Sur l’écran de télévision, en face d’eux, passe une étrange séquence : c’est une nuit étoilée à la campagne, d’étranges boules de feu vont et viennent dans le ciel.

JOURNALISTE
Aucun engin connu n’est capable d’effectuer de tels mouvements, explique le journaliste.

ISABELLE
C’est un phénomène naturel, alors.

JOURNALISTE
Impossible. Ces boules ont l’air « intelligentes » : elles observent quelque chose, tournent autour d’un point au sol puis s’éloignent ensemble.

ISABELLE
Conclusion ?

JOURNALISTE
Conclusion, le phénomène des extraterrestres reste très mystérieux. Les scientifiques ne se prononcent pas là-dessus. Pour eux, on ne peut pas exclure qu’il existe dans l’univers des formes de vie. Mais que ces formes de vie cherchent à entrer en contact avec nous pose trop de problèmes. Pour communiquer, il faut que nous soyons sensiblement au même niveau de développement. C’est quasiment impossible.

ISABELLE
Donc c’est du pipeau.

JOURNALISTE
Pas totalement non plus. Il y a beaucoup d’observations de phénomènes inexpliqués.

ISABELLE
Mais à mon avis, le plus mystérieux, c’est pas ces manifestations. Les scientifiques finiront bien par nous donner une explication. Ce qui m’intéresse moi, c’est ce que les gouvernements font avec ce genre d’information.

JOURNALISTE
Comme toujours, on les accuse de nous cacher quelque chose. Ils auraient des contacts avec des extraterrestres, et ne nous le dirait pas.

ISABELLE
Et t’en penses quoi ?

JOURNALISTE
C’est l’éternelle théorie du complot. Je n’y crois pas.

ISABELLE
Mais le phénomène peut servir à manipuler les esprits.

SCÈNE 70
CHAMBRE ISABELLE
ISABELLE

ISABELLE est assise sur son lit, au milieu d’une pile de livres sur le phénomène OVNI, sur l’hypnose, sur l’astronomie… Elle est plongée dans leur lecture. Elle en repose un et réfléchit un instant, puis elle se lève.

SCÈNE 71
BUREAU PHILIPPE
ISABELLE - PHILIPPE - JEFF

ISABELLE va rejoindre PHILIPPE qui écrit dans son bureau. Après un instant de silence…

ISABELLE
Il faudrait peut-être que j’aille voir un médecin… (Philippe ne répond pas. Un petit temps) Si cette femme m’a contactée et m’a emmenée voir Laetitia, c’est certainement pour me mettre sur une piste.

PHILIPPE
Il est évident qu’elle avait une idée derrière la tête…

ISABELLE
Je pense que les gouvernements testent les réactions des populations dans le cas d’un contact avec des extraterrestres.

PHILIPPE
Beaucoup d’Américains sont complètement persuadés de l’existence des petits hommes verts. Ça peut donner lieu à des manipulations d’individus en grand nombre. C’est normal que les États veuillent contrôler ça.

ISABELLE
Mais tu peux aussi inverser le point de vue : les gouvernements savent que des envahissements sont possibles et ils veulent voir comment les population réagiraient.

PHILIPPE
Mais pourquoi t’avoir fait ensuite un lavage de cerveau ?! Ça n’a pas de sens… !

ISABELLE
Si on a voulu utiliser ma notoriété, c’est raté ! Je suis condamnée à me taire et à rester terrée ici… ! (Après un petit temps, soudain troublée) On connaît quelqu’un qui fait de la moto ?

PHILIPPE
De la moto ? Pourquoi… ?

ISABELLE
Je n’en sais rien, Philippe. J’ai une impression de moto dans la tête. Je ne peux pas t’en dire plus… Personne ne fait de la moto dans notre entourage ?

Pendant que PHILIPPE cherche dans sa mémoire, l’attention d’ISABELLE est attirée vers l’extérieur. Elle jette un œil par la fenêtre et voit alors le motard, JEFF, qui observe la maison.

ISABELLE
Philippe !

PHILIPPE se précipite à la fenêtre… Il voit lui aussi JEFF, qui démarre en trombe. ISABELLE et PHILIPPE se regardent gravement.

SCÈNE 72
SALLE DE GALA DE BOXE THAI
PHIL - VÉRONIQUE - MARC - BÉNÉDICTE - STÉPHANE - MAURICE - SPEAKER

PHIL, dans le public, assiste à un grand gala de boxe thaï, à côté de VÉRONIQUE et de BÉNÉDICTE. Des gardes armés surveillent toutes les issues, toutes les travées. Le vainqueur d’un combat sort du ring, le SPEAKER passe entre les cordes.

SPEAKER
Pour clore cette soirée, nous allons maintenant assister à un championnat d’Europe dans la catégorie des moins de 70 kg, opposant Marc Botrat du “Boxing Club d’Asnières” au tenant du titre Fred Risello ! Je vous demande de les applaudir !

Applaudissements.

PHIL et BÉNÉDICTE regardent vers les vestiaires où apparaît MARC, en compagnie de son entraîneur, MAURICE et de son soigneur, STÉPHANE, vu dans la scène de la cave. Ils traversent le public et montent sur le ring. PHIL applaudit son ami très fort. BÉNÉDICTE se contente d’observer la scène.

ELLIPSE

Le coup de gong est donné. La musique thaï est lancée. Les deux combattants commencent à s’affronter… L’échange sur le ring est entrecoupé de plans sur PHIL qui est passionnément attentif à la rencontre et sur BÉNÉDICTE qui semble ne pas apprécier beaucoup.

Coup de gong.

MARC rejoint son coin où il est soigné par STÉPHANE. MAURICE lui donne des conseils.

PHIL
Il est parti fort !

BENEDICTE
Pourquoi dépenser autant d’énergie à détruire l’autre… !

PHIL
C’est qu’un sport !

BENEDICTE
S’il n’y avait que la boxe… Partout, c’est la même chose… Vous n’arrêtez pas de vous battre les uns contre les autres. On dirait que pour vous, la vie est un ring. Vous ne vous construisez pas, vous vous détruisez… Patiemment, méthodiquement. Vous feriez mieux de regarder vers le ciel…

PHIL
Oh, le ciel, y’a longtemps qu’il ne s’occupe plus de nous… !

BENEDICTE
Parce que vous vous êtes fait piéger par le matériel, par le physique. Vous avez perdu le contact. Tu sais pourquoi il y a un coin rouge et un coin bleu sur le ring ?

PHIL fait signe que non.

BENEDICTE
Le rouge, c’est les forces de la terre, le bleu, c’est les forces du ciel. Le monde terrestre lutte contre le monde céleste…

PHIL
C’est le bien contre le mal.

BENEDICTE
Mais c’est un combat dépassé ! On entre dans une nouvelle ère. Ni le bien ni le mal n’ont gagné et aucun des deux ne gagnera jamais ! On le sait maintenant. Il faut utiliser l’énergie autrement. Pour réunir le ciel et la terre, pour tirer la matière vers le spirituel. Tu comprends… ?

PHIL
(Amusé) T’as expliqué ça à Marc ?!

BENEDICTE
Oui…

PHIL
T’as dû te tailler un franc succès !

BENEDICTE
Détrompe-toi. Il le sait. Au fond de lui, il le sait. Il sait que l’esprit doit investir le corps et l’aider à l’élever. Mais il est pris dans le cirque de la vie. Cette idée ne le guide pas encore. Mais j’ai confiance.

Coup de gong. MARC quitte son coin et va à la rencontre de son adversaire. Le combat reprend.

Dans cette seconde reprise, MARC semble en perte de vitesse, parti trop vite sans doute. Comme lors du premier match (en boxe anglaise), ses coups ne portent plus.

La séquence est traitée en une suite de fondus et on arrive rapidement au coup de gong.

MARC retourne dans son coin. Il jette un coup d’œil à BÉNÉDICTE, dans le public. Celle-ci ne dit rien et ferme les yeux. MARC, dans son coin, ferme aussi ses yeux. Il devient comme sourd aux paroles de son entraîneur. Il semble chercher à recontacter la source de l’énergie en lui.

PHIL
Vous avez fait la fête, hier ?

BENEDICTE
Moi, non. Je l’ai laissé se reposer. Mais, lui, je ne sais pas ce qu’il a fait…

PHIL
Pas difficile d’imaginer…

Par un “chut !” amical, BÉNÉDICTE fait taire PHIL et continue de fermer les yeux. Arrive la fin de la pause. MARC ouvre les yeux et se lève d’un bond. Il semble avoir retrouver son énergie.

Cela se vérifie dès le début de la reprise. Son adversaire est vite débordé. Il le met K.O. PHIL exulte de joie. MARC se contente de lever le bras en signe de victoire. Il retourne vers son coin où MAURICE et STÉPHANE le congratulent. Mais MARC semble surtout préoccupé par ce qui s’est passé en lui quand il a fermé les yeux. Il échange un regard avec BÉNÉDICTE, s’interrogeant sur le rôle qu’elle a pu jouer à ce moment-là. Elle le regarde de façon neutre…

SCÈNE 73
LIVING MAISON DELAMARRE
ISABELLE - PHILIPPE - (MARC - PHIL - BÉNÉDICTE - MAURICE - STÉPHANE)

On suit l’annonce de la victoire de Marc et la remise de la ceinture et de la coupe sur l’écran de télévision d’ISABELLE. Le son est coupé. ISABELLE, assise sur le canapé, est plongée dans la lecture d’un livre. Si bien qu’elle ne voit pas certains plans du reportage où apparaît BÉNÉDICTE dans le public…

PHILIPPE entre dans le living et s’approche d’ISABELLE. Il se penche vers elle et la tire de sa somnolence…

PHILIPPE
Tu t’intéresses à la boxe, maintenant ?

ISABELLE a un sourire…

ISABELLE
Non ! J’attends les actualités… (Après un petit temps, montrant le livre qu’elle lit). C’est passionnant, ce livre… Il raconte que depuis des milliers d’années les hommes ont vu des objets volants dans le ciel et des êtres qui venaient nous contacter… Avant, on les appelait des anges, maintenant, on les appelle des extraterrestres… Mais, pour lui, c’est la même chose.

Pendant ce dialogue, on voit de temps à autre le reportage de la soirée de boxe. Bénédicte apparaît parfois, mais ni ISABELLE ni PHILIPPE ne la voient…

PHILIPPE
C’est logique. Avant, l’homme se croyait seul dans l’univers. Il ne pouvait pas imaginer que des voyageurs puissent venir d’autres planètes…

ISABELLE
Si tu veux… Mais, dans la Bible, Ezéchiel voit les anges sur un char volant, et au XIXè siècle, des témoins racontent qu’ils ont vu des bateaux traverser le ciel… !

PHILIPPE
Des bateaux !

ISABELLE
Oui… ! Et pas des témoignages isolés… On a commencé à voir des soucoupes volantes quand nous-mêmes on a su construire des engins volants. (Tout à coup passionnée). Ça veut dire que la description des OVNI dépend de l’avancée de nos connaissances… C’est fou, non ?

PHILIPPE
Je ne comprends pas.

ISABELLE
Si… C’est un phénomène à la fois physique et mental. Il se passe bien quelque chose dans le ciel, les témoins voient bien quelque chose — et les radars aussi — mais c’est notre esprit qui donne une apparence au phénomène. Et, selon les époques, on voit des chars, des bateaux ou des engins spatiaux.

PHILIPPE
Avec ça, on est bien avancé !

ISABELLE
Mais si !

PHILIPPE
Tu trouves ?!

ISABELLE
(De plus en plus “portée” par son sujet) Mais si… Ça veut dire que l’hypothèse de voyageurs venant d’une autre planète pour nous contacter, c’est du pipeau ! C’est beaucoup plus compliqué que ça… Ou plus simple que ça… si tu préfères…

PHILIPPE
Commence par la version “simple” de l’affaire…

ISABELLE
Je t’explique…

PHILIPPE
(Plaintivement, comme un enfant) J’ai envie d’aller me coucher…

ISABELLE
En deux mots, tu vas tout comprendre…

PHILIPPE
(Conciliant) Bon. D’accord. Mais pas plus de deux !

ISABELLE
Il y a des tas de gens qui voyagent dans tout l’univers par la pensée, en méditation… Y’a pas besoin de soucoupe volante pour aller découvrir d’autres civilisations… Nous, on raisonne avec des soucoupes volantes parce qu’on est dans le matériel. On ne conçoit pas le voyage autrement… Tu comprends… ?

PHILIPPE
Les brumes matinales se dissipent peu à peu, mais le brouillard est encore un peu épais…

ISABELLE
Le “quelque chose” que les gens voient, c’est les pensées des autres mondes qui viennent chez nous. Ils “sentent” cette pensée. Mais comme une pensée, ça ne se voit pas, les témoins lui donnent une forme connue : un char, un bateau, une soucoupe volante… Voilà. Pour moi, c’est clair maintenant…

PHILIPPE
T’as de la chance !

ISABELLE
Si. Et ça me confirme que l’enlèvement de Laetitia, et le mien, ça n’a rien à voir avec les extraterrestres… C’est une affaire purement humaine, bien terrestre… On veut nous faire croire à ces histoires pour nous manipuler, mais pour voyager, l’esprit suffit. Pas besoin de toute cette quincaillerie !

PHILIPPE est plongé dans de profondes interrogations entrecoupées de bâillements. ISABELLE jette un coup d’œil à la télé et s’aperçoit que le journal a commencé. Avec la télécommande, elle monte le son…

PHILIPPE
Bon, bah, moi, si tu permets, je vais aller voyager dans l’univers… dans mon lit !


Il embrasse ISABELLE et monte se coucher, jetant à peine un œil au reportage, de l’escalier.

On voit le journal de la nuit :

SCÈNE 74
PLATEAU JOURNAL
BERTRAND

BERTRAND présente le journal en studio.

[La séquence est vue tantôt “en direct”, tantôt “dans le poste de télévision” d’ISABELLE, avec des plans de coupe sur elle]

BERTRAND
Les violents affrontements qui ont opposé les émeutiers aux forces de l’ordre en début d’après-midi près de l’usine Clermont dans la région lilloise se poursuivent encore. J’appelle notre correspondant sur place Jean-Michel Grimaud…

LE REPORTAGE

Sur le commentaire de Jean-Michel Grimaud, on assiste “en direct” au face à face entre les CRS et les émeutiers. Ceux-ci sont armés et cagoulés. En arrière-plan, on aperçoit les bâtiments d’une usine. Les affrontements se déroulent devant les grilles, dans la rue.

JEAN-MICHEL GRIMAUD
Je peux vous dire, Bertrand, que depuis quelques minutes, les combats ont redoublé d’intensité. L’armée est venue renforcer les compagnies de CRS sur place qui commençaient à être débordées…

BERTRAND
Est-ce que les émeutiers ont pu pénétrer dans l’enceinte de l’usine ?


JEAN-MICHEL

Vous imaginez qu’il est très difficile de le savoir pour l’instant. Nous sommes tenus à l’écart. Il semblerait — je dis bien “il semblerait” — que certains éléments aient pu franchir la clôture. Mais ils auraient été neutralisés. Mais… Mais, je m’interromps, Bertrand. Vous le voyez comme moi sur l’image : d’autres émeutiers sont en train d’arriver en renfort…

On voit un groupe d’hommes armés courir vers l’usine.

JEAN-MICHEL
Oh, là là ! Gardez le direct, Paris !…

BERTRAND
(Au second degré) On ne vous lâche pas, Jean-Michel… ! Continuez…

JEAN-MICHEL
Vous ne le voyez pas, mais je peux vous dire que les renforts militaires vont lancer un assaut contre ces nouveaux émeutiers. Nous travaillons dans des conditions très difficiles…

BERTRAND
(Toujours très flegmatique) Je l’imagine volontiers, Jean-Michel…


Mouvements confus de la caméra qui “cherchent” les militaires. La suite est sans commentaire : les forces de l’ordre donnent l’assaut : coups de feu en l’air, bombes lacrymogènes, etc… Les émeutiers répondent de la même manière…

INSERT “SUR LE TERRAIN”

Cette fois, nous sommes dans l’action, du côté des émeutiers, “in”. Ils sont pris de panique par la violence de la charge des forces de l’ordre. En première ligne, malgré son casque, on reconnaît JEFF à ses cheveux longs dans la nuque, à sa tenue en cuir et à sa forte stature. Les émeutiers sont contraints de reculer. L’un d’eux s’adresse à JEFF :

UN ÉMEUTIER
Barre-toi ! Barre-toi !

JEFF
(Amorçant sa retraite) Massacrez ces enculés tant que vous pouvez… ! Tenez bon !

UN ÉMEUTIER
Barre-toi ! Barre-toi !


Tout en protégeant sa retraite, JEFF quitte la première ligne d’attaque et court vers sa moto.

RETOUR REPORTAGE

La suite de la scène est vue de très loin, par le puissant télé-objectif de la caméra de reportage.

JEAN-MICHEL
Les émeutiers commencent à reculer. Vous le voyez en direct… Ça se passe de commentaires. Ici, je peux vous dire que la tension atteint son maximum…

Sur ce commentaire, on voit JEFF enfourcher sa moto et prendre la fuite. L’image est lointaine mais suffisamment “lisible”…

SCÈNE 75
LIVING DELAMARRE
ISABELLE


ISABELLE, très attentive au reportage, ne manque pas de remarquer cette moto et son étrange conducteur. Les cheveux longs dans la nuque lui rappellent l’homme qu’elle a vu en bas de chez elle. Elle est prise de stupeur et d’inquiétude…

SCÈNE 76
BOITE DE NUIT “ATTICA”
PHIL - MARC - BÉNÉDICTE - VÉRONIQUE - STÉPHANE - ANNE-SOPHIE

Après le combat, MARC fête son titre de champion d’Europe dans sa boîte de nuit habituelle, l’« Attica », avec ses amis PHIL, STÉPHANE et BÉNÉDICTE. L’amie de PHIL, VÉRONIQUE, est également présente et danse avec les autres au milieu de la piste. Complicité amoureuse entre PHIL et VÉRONIQUE d’un côté, et MARC et BÉNÉDICTE d’autre part.

Tout baigne dans une bonne ambiance amicale quand apparaît un groupe d’adolescents, parmi lesquels ANNE-SOPHIE, la fille du patron du garage. Très vite, MARC “tilte” sur elle et se penche vers PHIL pour lui signaler sa présence, tout en continuant à danser.

ANNE-SOPHIE et ses amis vont se mêler aux autres danseurs. Insensiblement, MARC s’éloigne de son groupe d’amis pour se rapprocher d’elle. BÉNÉDICTE, prise par l’ivresse de la danse, ne remarque pas le manège. PHIL, oui, et adresse à MARC une mimique de reproche. MARC lui répond par signes : “T’inquiète pas !”.

MARC arrive près d’ANNE-SOPHIE qui ne semble pas être “en main”. Elle le reconnaît et lui sourit, ce qui l’encourage à lui glisser un mot à l’oreille :

MARC
Alors, ça marche la “philo” ?…

Tout en continuant à danser, ANNE-SOPHIE fait signe que oui…

MARC
Ah, c’est cool !


La musique dynamique s’achève et le disc jockey enchaîne sur un slow. PHIL prend VÉRONIQUE dans ses bras. BÉNÉDICTE cherche MARC mais, ne le trouvant pas, prend STÉPHANE comme partenaire. MARC, de son côté, propose à ANNE-SOPHIE de danser ce slow avec lui. Elle ne refuse pas.

Bientôt, BÉNÉDICTE aperçoit MARC dans les bras d’ANNE-SOPHIE. Très froidement, elle s’écarte de STÉPHANE et traverse la piste de danse. STÉPHANE est un peu surpris mais trouve très vite une autre partenaire. PHIL suit du regard BÉNÉDICTE en se demandant ce qui va se passer…

BÉNÉDICTE, très fièrement, se présente devant MARC, qui est bien obligé d’abandonner ANNE-SOPHIE. Ils continuent le slow ensemble.

En dansant :

MARC
(Tout penaud) C’est la fille de mon patron… C’est rien du tout.

BENEDICTE
Tu as des ressources considérables en toi. Un véritable trésor. Toutes les forces de l’univers peuvent être à tes pieds, si tu le désires… et regarde à quoi tu perds ton temps… ! Tu n’as pas senti cette énergie sur le ring… ?

MARC
Si… Et je voudrais bien que tu m’expliques.

BENEDICTE
Demain, je te présenterai quelqu’un…

Ils continuent de danser en silence.

SCÈNE 77
BUREAU MATTHIEU
ISABELLE - MATTHIEU

ISABELLE est assise devant un poste de télévision. MATTHIEU introduit une cassette dans un magnétoscope.

MATTHIEU
Tu as regardé la boxe, hier soir… ?

ISABELLE
Non. J’ai juste jeté un œil en attendant le journal.

MATTHIEU
Tu n’as rien remarqué ?

ISABELLE
Non, je bouquinais… Pourquoi ?

MATTHIEU
Regarde…

MATTHIEU met en marche le magnétoscope. On revoit quelques moments du reportage diffusé la veille et surtout un premier plan où la caméra, dirigée vers le public, filme Bénédicte. MATTHIEU fait un arrêt sur l’image.

MATTHIEU
Cette fille ne te rappelle rien… ?

ISABELLE
Si, bien sûr ! C’est elle ! Oui, sans aucun doute possible, c’est elle ! (Dissimulant sa surprise derrière l’humour) Je devrais m’intéresser un peu plus à la boxe… !


Pendant que MATTHIEU passe à l’accéléré le match pour aller au plan suivant où on revoit Bénédicte :

MATTHIEU
C’est Jean-Louis, du service des sports, qui a fait le rapprochement…

MATTHIEU arrête l’image sur un autre moment où apparaît Bénédicte.

MATTHIEU
C’est facile de la retrouver… Cette fille n’est pas n’importe qui. Elle doit connaître un des organisateurs, ou un des boxeurs, peut-être… J’informe la police ?

ISABELLE
Laisse tomber la police. Si c’est les services secrets qui m’ont fait ce tour, c’est pas la peine.

MATTHIEU
En tout cas, elle n’est pas très secrète ta ravisseuse. Elle se montre en public, dans une soirée retransmise en direct.

MATTHIEU retire la cassette du magnétoscope et la tend à ISABELLE, qui la prend…

ISABELLE
Tu sais ce que je pense ?

MATTHIEU
 ?

ISABELLE
Dans leur plan, mon enlèvement devait occuper toute la presse pendant des semaines…

MATTHIEU
Sûrement…

ISABELLE
Mais on n’est pas tombés dans le panneau. Et ça, ça les emmerde.

MATTHIEU
Et la fille réapparaît pour relancer ton affaire… ?

ISABELLE
Un truc comme ça, j’en suis sûre.

MATTHIEU
On laisse tomber, alors…

ISABELLE approuve d’un silence. MATTHIEU va se réinstaller derrière son bureau.

MATTHIEU
Tu n’envisages pas de reprendre la présentation du journal… puisque tu renonces à ton enquête…

ISABELLE sourit de l’esprit opportuniste de MATTHIEU…

MATTHIEU
Il y a ces émeutes… Le gouvernement n’arrive pas à s’en sortir. Pour l’instant, politiquement, il tient le coup. Les partis ne sont pas encore prêts pour des élections. Mais on sait que tout est en train de se mettre en place. Il nous faudrait quelqu’un comme toi à l’antenne…

ISABELLE
Bertrand assure tout ça très bien…

MATTHIEU
Je n’ai pas dit le contraire. En fait, il faudrait donner un visage à ces émeutiers. D’après nos informations, la police commence à cerner de près un type qui mènerait ces opérations…

ISABELLE
L’homme à la moto… ?

MATTHIEU
Oui. Tu l’as vu comme moi, hier…

ISABELLE
Encore mieux que toi… !

Faute d’en savoir plus, MATTHIEU ne relève pas…

MATTHIEU
(Prenant soudain un air de conspirateur) Garde ça pour toi, mais il nous a contacté.

ISABELLE
Ah… ?

MATTHIEU
En réalité, il voulait te parler. On a essayé d’avoir une conversation avec lui, mais il a refusé. Il ne voulait parler qu’à toi. Il a raccroché. (Prenant tout à coup un ton badin) Voilà, ma cocotte, où on en est.

ISABELLE
(Même ton enjoué) La cocotte est de retour !

MATTHIEU
J’aimerais bien qu’elle le soit, de retour… oui ! Tu imagines, ton interview du chef des émeutiers… En exclusivité…

ISABELLE
(Très sérieuse) Je risque trop gros. Rien avec ce type tant que je n’en sais pas un peu plus. Et pas de présentation du journal.

MATTHIEU
Tu veux qu’on te laisse tranquille.

ISABELLE
J’ai l’impression de te l’avoir déjà dit, non ?

MATTHIEU
Je préfère reposer la question. On ne sait jamais…

SCÈNE 78
SALLE ENTRAINEMENT BOXE THAÏ
MARC - STÉPHANE - MAURICE - ELEVES


MARC à l’entraînement, dans son club. Au fond, un ring. Le long des murs, des sacs de frappe. Un dizaine de jeunes s’entraînent. Les uns sont aux accessoires, d’autres s’échauffent à la corde ou font du shadow-boxing devant les glaces. Ils portent des shorts très colorés et sont pieds nus.

MARC “tourne” avec STÉPHANE sur le ring. On assiste à leur entraînement quelques instants. Puis ils marquent une pause. A ce moment, l’entraîneur, MAURICE, se dirige vers le ring et s’adresse à MARC.

MAURICE
C’est bon. Je t’ai trouvé un combat le mois prochain…

MARC
(Fou de joie) En Thaïlande… !

MAURICE
Non, pas en Thaïlande, à Bercy, contre Allouche… (Tout content de lui) C’est du grand Maurice, ça ?!

MARC, lui, n’apprécie pas du tout…

MARC
Mais tu m’avais dit que si j’avais mon titre, tu me ferais combattre en Thaïlande !

MAURICE
Ben, oui, mon bonhomme, mais pour l’instant, c’est pas possible.

MARC, furieux et déçu, quitte vivement le ring et va rapidement vers les vestiaires. MAURICE essaie de le retenir…

MAURICE
Marc ! Marc !

Mais MARC disparaît dans les vestiaires.

MAURICE
(A Stéphane) Quelle tête de lard !

Quelques élèves ont arrêté leur entraînement pendant l’incident. MAURICE les encourage à le reprendre :

MAURICE
Allez, là, on s’endort pas !

Il fait signe à un élève d’aller “tourner” avec STÉPHANE sur le ring.

SCÈNE 79
CAVE BISTROT
PHIL - MARC


PHIL aide MARC à démonter son installation et à remettre la cave dans son état d’origine.

MARC
Oh, je suis dégoûté ! Je t’assure, je suis dégoûté ! Moi, j’en ai rien à cirer d’Allouche. C’est contre des Thaïs que je veux boxer. Et des Thaïs de Thaïlande, pas de Seine-Saint-Denis !

PHIL
Qu’est-ce que tu vas faire, alors… ?

MARC
De la musculation. Ma copine, Bénédicte… Bénédicte, tu vois c’est qui ?

PHIL
Oui !

MARC
Elle va me faire rencontrer un type qui a une méthode d’entraînement. Il fait ses propres produits… des protéines, tout ça… pour “épurer”… C’est comme ça qu’on dit “épurer”… ?

PHIL
Oui…

MARC
Épurer le corps et transformer toutes les substances en masse musculaire.

PHIL paraît un peu sceptique sur cette nouvelle orientation de la vie de MARC.

MARC
Mais, attends… C’est pas seulement pour se muscler. Le type, il paraît qu’il a étudié l’alchimie… Tu sais c’est quoi l’alchimie ?…

PHIL
C’est ceux qui transformaient le plomb en or au Moyen-Age, non… ?

MARC
Voilà… C’était des allumés qui cherchaient Dieu dans la matière, en la purifiant. Eh ben, le type, il fait pareil. Mais en travaillant sur le corps. Tu comprends ?

PHIL ne sait que répondre… Un petit temps s’écoule.

MARC
Et puis Bénédicte a raison. Faut que j’arrête de me battre. Faut que je développe mon esprit. Elle dit que les études, ça ne sert plus à rien…

PHIL
Ah bon ?!

MARC
C’est de la culture ancienne, c’est dépassé. Elle dit qu’on doit laisser tout s’écrouler et commencer à préparer la suite… Qu’est-ce t’en penses ?

PHIL
Méfie-toi qu’elle t’entraîne pas dans une secte ou un truc comme ça… Tu la trouves pas bizarre ?

MARC
Oh, si… ! Et je te raconte pas tout !… Mais, t’inquiète pas, je sais très bien ce que je fais. Tu vois, cette fille, c’est la meilleure chose qui pouvait m’arriver.

PHIL
J’espère pour toi…


Les deux garçons se regardent sans rien dire.

SCÈNE 80
JARDIN D’ENFANT
AMÉLIE - BÉATRICE - JEFF - HOMMES

AMÉLIE est en train de jouer dans un jardin d’enfants sous la surveillance de BÉATRICE, la baby-sitter.

Une camionnette s’approche lentement du jardin d’enfants, suivie de JEFF, à moto, qui semble vouloir rester à l’écart. La camionnette s’arrête le long du trottoir. Deux HOMMES en descendent et vont rejoindre JEFF. Il leur désigne AMÉLIE du regard. Tous trois vont vers le jardin d’enfants…

SCÈNE 81
LABORATOIRE-PARKING
MARC - GEOFFROY

MARC rend visite à GEOFFROY. Il est en short, assis au bord du banc de musculation. GEOFFROY, dans le coin cuisine, lui prépare une mixture.

GEOFFROY
L’esprit est partout. C’est l’énergie du monde. Tu peux le rencontrer dans tes pensées comme dans la matière. Ton corps n’est que de la pensée solidifiée.

MARC, qui n’est pas très à l’aise, regarde son corps et a une mimique comique d’incrédulité…

GEOFFROY
Nos vibrations sont devenues trop basses. Nos esprits sont pollués par toute la négativité qui est en bas, dans le matériel, qui s’est déposée depuis des millénaires comme du marc de café… Tu vois ?

MARC
(Dissimulant son malaise par une certaine pitrerie) Ouais…

GEOFFROY
Tu me diras, si l’esprit est partout, on doit aussi bien le trouver en bas qu’en haut…

MARC
Ouais… !

GEOFFROY a terminé de confectionner sa mixture et va tendre le verre à MARC. La couleur brunâtre du liquide dégoûte MARC.

MARC
Je vais boire ça, moi !

GEOFFROY
S’il te plaît, oui…

MARC
Je pourrais savoir ce que c’est avant ?

GEOFFROY
C’est des protéines…

MARC
(Considérant le liquide) Oh, bah, elles font la tronche, les protéines… !

GEOFFROY
Bois… Ne te fie pas aux apparences…

MARC
Ah ? OK…

MARC s’exécute. Le goût n’est pas si mauvais. Il est rassuré.

GEOFFROY
Donne-moi un coup de main…

MARC aide GEOFFROY à installer des disques de fonte sur une barre.

GEOFFROY
(Reprenant son discours) C’est justement parce qu’il est aussi en bas, que nous pouvons retrouver le chemin du ciel par la matière. Mais cette voie est polluée par les scientifiques. Nous devons explorer une voie nouvelle, celle du corps. Le contact avec le ciel, nous allons le retrouver dans notre chair. De notre erreur, nous allons faire un levier pour l’avenir. Tu vois ?

MARC
Oui. Mais, bon. Y’a des exercices à faire ?… Des trucs… ?

GEOFFROY
Bien sûr. Je vais te les montrer…

MARC
Ah, c’est cool…

MARC aide GEOFFROY à installer la barre d’haltères à l’arrière du banc de musculation, puis il va s’allonger.

GEOFFROY
Mais tu comprends que l’essentiel n’est pas là… D’où vient le chaos du monde, d’après toi ? Il vient de ce que le Bien et le Mal, à force de se combattre en nous utilisant, ont fini par se mélanger. Quand tu faisais de la boxe, il n’y avait aucune différence entre toi et ton adversaire. Et pourtant, vous vous battiez à mort… Pourquoi ?

MARC
Hé !… Comme ça… Pour exister… Pour savoir ce qu’on vaut…

GEOFFROY
Tu as vécu à l’horizontal, le regard tourné vers ton miroir. Maintenant, tu vas tourner ton regard en toi, et trouver ce qui te relie au ciel.

MARC
Et comment on fait ?

GEOFFROY
“Dissoudre, séparer, réunir”. Souviens-toi de cela.

MARC
En clair ?

GEOFFROY
Les éléments du monde sont mélangés. Il faut les chauffer pour les dissoudre, puis les séparer de nouveau, et au lieu de les opposer, comme sur ton ring, les réunir. Agir non plus horizontalement, mais verticalement. Unir le bas et le haut…

MARC
Y’a du boulot ? On commence quand ?

GEOFFROY
Tout de suite !

MARC empoigne la barre des haltères. GEOFFROY vérifie le bon écartement des mains et va se positionner à l’arrière du banc pour soutenir la barre, le cas échéant.

GEOFFROY
Pense simplement, en faisant l’exercice, que le but n’est pas de muscler ton corps mais de chauffer les différentes substances pour les transformer… pour dissoudre la graisse, libérer son énergie et l’orienter vers la masse musculaire. Retiens bien ces trois lettres : D-S-R. “Dissoudre, séparer, réunir”. Pense bien à cela en faisant l’exercice, c’est tout.

MARC
(Se concentrant avant l’effort) OK.

Il commence à soulever la barre. On assiste à quelques mouvements.

SCÈNE 82
LIVING DELAMARRE
ISABELLE - PHILIPPE - BÉATRICE - JEFF - AMELIE

ISABELLE, PHILIPPE et BÉATRICE sont dans le living, autour du téléphone, dont ils attendent qu’il sonne. Un épais silence règne, que BÉATRICE finit par rompre :

BÉATRICE
J’ai rien pu faire…

ISABELLE
Tu n’as rien à te reprocher. Qu’est-ce que tu pouvais faire ?!…

PHILIPPE
Tu ne veux vraiment pas qu’on prévienne la police ?

ISABELLE
Demain…

Le silence retombe.

ISABELLE
Enlever ma fille ! Le monstre ! Qu’est-ce qu’il imagine ?! Que je vais le faire passer à 20 heures 30, en prime time après un coup pareil ! On n’a jamais vu ça !

PHILIPPE
On n’a jamais vu non plus des chômeurs démolir des usines partout en France… !

ISABELLE
C’est ça ! Trouve-lui des excuses ! C’est ta fille aussi, si tu l’as oublié ! (Changeant soudain de ton, traversée par une illumination) Le portable ! Le portable ! (À Béatrice) Est-ce qu’elle avait son portable avec elle ?

BÉATRICE
Oui, elle ne le quitte jamais…

Aussitôt, ISABELLE compose le numéro…

ISABELLE
(En composant le numéro) Oh, mon p’tit bout, mon p’tit bout… (Au bout d’un petit temps) Amélie ! C’est toi Amélie ! Oh, ma chérie. (Isabelle pousse un grand soupir de soulagement) Parle doucement surtout ! Tu vas bien ?…

ISABELLE fait signe que oui aux autres.

ISABELLE
(Dans le combiné, à Amélie) NON… ! NON !… (Mettant la main sur le micro, aux autres) Elle me fait écouter la télé ! Non !… Amélie ! Amélie ! (Changeant soudain de ton) Allô, allô… Vous n’avez pas le droit de faire ça… (Elle fait signe qu’elle a le ravisseur en ligne) Rendez-moi ma fille ou je casse tout… Une interview ?!!! Vous rêvez ! J’ai vu des gens faire n’importe quoi pour passer à la télé, mais là c’est trop. Vous êtes un monstre ! J’espère que vous traitez bien ma fille !

ISABELLE écoute le ravisseur un instant puis met la main sur le combiné.

ISABELLE
(À Philippe) Qu’est-ce que je fais ?

PHILIPPE
Est-ce que tu as le choix ?!…

ISABELLE reste songeuse.

ELLIPSE

PHILIPPE fait entrer JEFF qui tient AMÉLIE. Celle-ci se précipite vers sa fille et la serre dans ses bras.

ISABELLE
Mon p’tit bout ! Mon p’tit bout ! (À Jeff, très froidement) Ça fait quand même beaucoup pour une simple interview, non ?!

JEFF
Ces enculés voulaient pas que je vous parle…

ISABELLE et PHILIPPE échangent un regard. ISABELLE est sur le point d’exploser. PHILIPPE l’incite à l’apaisement…

PHILIPPE
Bon. Béatrice, on va aller coucher Amélie.

PHILIPPE se dirige vers sa fille, la prend dans ses bras et la monte au premier, suivi de BÉATRICE. ISABELLE reste seule avec JEFF.

JEFF
(Très froidement) Je veux un face-à-face avec Raveleau, le Premier Ministre. J’ai plein de choses à lui balancer dans sa gueule d’enculé de merde.

ISABELLE
(Perdant un peu pied) Pourquoi pas le Président de la République, pendant que vous y êtes… !

JEFF
Le Premier Ministre, ça suffira. Ça sera moins compliqué pour vous…

ISABELLE
Qu’est-ce que vous avez l’intention de lui dire ?…

JEFF
Ça, je le garde pour le direct. Parce que je veux que ça passe en direct. Que vous alliez pas me baiser la gueule par derrière !

ISABELLE
Vous vous rendez compte que c’est impossible à organiser. D’abord, aucun responsable du gouvernement ne voudra discuter avec vous. Ensuite, les émeutes ont fait des centaines de morts du côté des forces de l’ordre et des millions de dégâts. Vous avez toutes les polices à vos trousses. Vous croyez qu’on va vous laisser entrer dans un studio, faire votre speech et repartir après ? Même une interview avec moi en tête à tête, c’est inconcevable ! Vous vous êtes fait un délire dans votre tête ! Vous rêvez…

JEFF
On peut faire un duplex. Ça se fait, ça !

ISABELLE
Mais même un duplex ! Il faut des techniciens, des moyens de transmission… Ça ne se fait pas comme ça ! Et pourquoi je vous aiderais ? Et pourquoi moi, d’abord ?

JEFF
Parce que vous êtes bonne ! Ça fait cinq ans que je vous regarde à la télé. Je préfère faire ça avec vous qu’avec la tantouze… Vous, vous me faites bander, l’autre pas…

ISABELLE
Merci pour les précisions…

JEFF
Alors ?…

ISABELLE
C’est impossible… De toute façon, je ne me montre plus à la télévision. J’ai eu un “petit problème”, voyez-vous, et je ne tiens pas à compliquer les choses.

JEFF
C’est Bénédicte, votre petit problème ?

ISABELLE
Vous la connaissez ?!

JEFF
C’est ma meuf ! Enfin, c’était… jusqu’à ce qu’elle se mette avec un mécano de merde…

ISABELLE
Mais qui est-elle ?

JEFF
Une embrouilleuse de première… Elle et son père, ils m’ont pris la tête avec leur putain d’Ère du Verseau. Je voulais faire de la “muscu”. Résultat, ils m’ont fait boire des litres de merde ! Je les ai balourdés tous les deux… et je m’en félicite, comme on dit ! Elle vous a pas pris la tête avec son alchimie à la con quand vous étiez au restau… ?

ISABELLE
Quel restau ?!!

JEFF
Au château, là… après la visite à la môme… Hé ! Faites pas celle qui sait pas. Je vous ai filé en moto. Même qu’elle m’a fait un de ses coups de putes… Elle a failli niquer ma bécane… Elle voulait pas que je vous contacte…

ISABELLE reste silencieuse un instant, le temps d’intégrer ces informations nouvelles et de tenter de compléter son puzzle.

ISABELLE
Vous pourriez me faire rencontrer cette Bénédicte… ?

JEFF
Hé ! Hé ! Pourquoi pas ?… Mais, donnant-donnant…

ISABELLE soupire. Elle sent qu’elle n’est pas au bout de ses peines…

ISABELLE
Je vais chercher une solution…

JEFF
Mais c’est mon interview d’abord et l’embrouilleuse après, OK ?

ISABELLE hoche la tête. JEFF sourit.

SCÈNE 83
CHAMBRE DELAMARRE
ISABELLE - PHILIPPE

ISABELLE et PHILIPPE sont dans leur lit. Ils ne dorment pas encore.

ISABELLE
Il est fou d’imaginer que je vais pouvoir monter une rencontre entre lui et le Premier Ministre ! C’est l’ennemi numéro un.

PHILIPPE
Qui ? Le Premier Ministre… ?

ISABELLE
Philippe… !

PHILIPPE
Je ne te comprends pas… Les scoops te tombent du ciel, tout chauds, et tu te dérobes…

ISABELLE
Mets-toi à ma place… On m’enlève, on me lave le cerveau, on enlève notre fille… Des scoops comme ça, je m’en passerais. Ils sont tellement chauds, ces scoops, comme tu dis, qu’à chaque fois je risque de me brûler.

Un petit temps.

ISABELLE
Dis-moi, ce restaurant dans un château, il ne doit pas y en avoir des tonnes du côté de Sainte-Victorine… Je ne pense pas que Bénédicte m’a fait faire des centaines de kilomètres. Ils m’ont relâchée pas très loin de Sainte-Victorine. Tout cela doit se passer dans le coin, non ?

PHILIPPE
Je te vois venir… Tu veux qu’on se fasse un petit week-end “relais-châteaux” vendéens…

ISABELLE
On a bien mérité un peu de détente, non ?

Un petit temps.

ISABELLE
Tu penses à quoi ?

PHILIPPE
J’essaie de me souvenir à partir de quel moment précis notre vie a basculé dans le cauchemar… !

ISABELLE
Et c’est pas fini…

PHILIPPE
On va se réveiller, j’en suis sûr… En attendant, si on dormait… ?

ISABELLE sourit. Ils s’embrassent.

SCÈNE 84
CHAMBRE HOTEL BENEDICTE
MARC - BENEDICTE

Même nuit. Même situation. MARC est profondément assoupi. BÉNÉDICTE, elle, est encore éveillée. À travers la fenêtre, elle regarde les étoiles briller dans le ciel sombre.

Elle se dégage de MARC et va se mettre à la fenêtre. Elle continue de contempler le ciel. Son mouvement a éveillé MARC qui va la rejoindre et l’embrasse sur l’épaule.

BENEDICTE
Là-haut, le corps avait moins d’importance. Forcément. Le monde charnel, c’est ici. Là-haut, on pensait plus aux sentiments. C’est vrai aussi que le système de reproduction n’était pas le même…

MARC
(Soudain enjoué) C’est ça ! Parle-moi du système de reproduction… !

BENEDICTE
Tout se passait par le regard…

MARC
(Continuant d’embrasser ses épaules) Ah ! Dommage !

BENEDICTE
Arrête de faire le clown ! Tu sais très bien de quoi je parle.

MARC
Je commence, oui. Mais je me demande si je ne préférais pas avant… quand je ne savais pas…

BENEDICTE
Tu comprends mieux le sens des événements, maintenant…

MARC
Pourquoi je suis né pour regarder le monde se casser la gueule… ?

BENEDICTE
Tu es encore trop attaché aux choses… L’automne, quand les feuilles tombent, l’arbre s’en fout. Il ne les retient pas. De nouvelles feuilles viendront les remplacer. C’est la même chose pour notre civilisation. Si elle s’écroule, on va pas pleurer dessus. Pourquoi vouloir maintenir en vie une chose qui a fait son temps ?…

MARC
Parce qu’on s’accroche. On lâche pas le morceau comme ça…

BENEDICTE
On a raté le virage. Si on avait laissé parler notre cœur ! Au lieu d’évoluer naturellement, on va sombrer dans le cauchemar.

MARC
Moi, je m’en fous ! Je veux bien faire des cauchemars, du moment que tu es dans mon lit quand je me réveille !

BENEDICTE
Marc !

MARC
Oh, on peut bien s’amuser un peu. Déjà que c’est pas marrant la fin du monde, si, en plus, on fait la tronche. Coulons gaîment !

BENEDICTE
Pourquoi pas ?

En riant, MARC et BENEDICTE retournent dans le lit et s’adonnent à un jeu amoureux.





© Christian Julia. 2021-2021.
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