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Ces vies dont nous sommes faits

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Le Faiseur de pluie

Le jour de ma rencontre avec Khalid El Quandili est une sale journée. C’est le début du mois de février, et le ciel de Paris est couvert. Le siège de l’association est situé dans un quartier triste, le 17e arrondissement, dans une rue calme à mourir. Quel endroit étrange pour promouvoir l’insertion par le sport !

Un garçon trapu au nez cassé m’ouvre la porte et me propose de patienter dans l’entrée pendant qu’il va chercher Khalid. L’appartement est désert. Pas d’affiches aux murs, pas de revues, pas de livres, rien qui témoigne d’une étincelle de vie associative ! L’essentiel doit être ailleurs.

Couverture de la plaquette de l’association Sport Insertion Jeunes.

Khalid m’accueille très courtoisement et me conduit dans son bureau. Le premier contact avec lui est comme irréel. Il a si profondément pénétré mes pensées pendant des semaines qu’en me retrouvant face à lui j’éprouve une nouvelle fois le fameux « déversement du rêve dans la réalité » cher à Gérard de Nerval. Khalid est effectivement un très beau garçon. Il a la carrure athlétique d’un boxeur. Comme tous les sportifs soumis à un entraînement intensif, il dégage un grand magnétisme physique. Il porte une veste élégante. Il s’exprime lentement, cherchant le mot juste, l’expression pertinente. Il y a une grande noblesse dans son visage, dans ses gestes, ses pensées. Je ne suis pas surpris qu’il ait évoqué avec Ange Casta la chevalerie et les valeurs.

Nous commençons par parler de choses et d’autres, une sorte de round d’observation. Le plus curieux est que ce n’est pas le boxeur que je suis venu voir, mais l’homme qui s’implique socialement. C’est un détail très troublant. Il se produit le même phénomène qu’avec Goal. Je ne vois pas l’évidence qui me crève les yeux. En écrivant la série sur le football, je n’ai pas pensé un seul instant à mon frère aîné, pourtant ardent pratiquant de ce sport. En face de Khalid, je devrais me souvenir qu’un boxeur m’a sauvé la vie quand j’étais enfant et que je suis devant un boxeur pour la première fois de ma vie. Cette coïncidence paraît refoulée, gardée au chaud dans l’inconscient, pour plus tard. De fait, ce n’est pas le boxeur que j’ai contacté, c’est « l’acteur social » vu dans une émission de télévision, celui qui, en me parlant de chevalerie, a suscité en moi une bien étrange mission.

Je lui demande ses rapports avec l’audiovisuel. Il me parle d’une émission d’actualité sur les sports de combat qu’il produit avec France 3. Il me montre les cassettes VHS empilées contre le mur.

Je finis par lui exposer mon projet d’écrire sa biographie. Il me sort une bande dessinée qu’un jeune a réalisée sur sa vie. Je la feuillette et je reviens à ma proposition. Sa réponse est directe : « Les jeunes ne lisent pas ». Et lui veut transmettre son message aux jeunes. Un livre, ça ne vaut pas le coup. Un scénario, ce serait mieux. Je lui promets donc de lui proposer un projet dans les jours qui viennent.

Puis nous continuons à évoquer d’autres sujets. Khalid parle des journalistes. La plupart ne se penchent sur les banlieues qu’un bref instant, souvent à la suite d’un incident, puis passent à autre chose. Il cherche des gens qui s’investissent. Je me défends en lui disant que je ne suis pas journaliste, que je suis scénariste. « Oui, je sais. C’est pour cela que je vous reçois ». Il m’explique qu’après le documentaire Beurs d’Ange Casta, il a reçu des tas de demandes de rendez-vous de la part des journalistes. Il n’en a accordé aucune ! J’ai bien fait d’attendre un mois avant de l’appeler !

Il est tard. Il doit se rendre en ville, il met fin à notre entretien. Il enfile un imperméable mastic. Je l’accompagne jusqu’à sa voiture, un Voyager noir très impressionnant. Belle réussite sociale ! Il y a quelque chose de très émouvant à voir un garçon issu de l’immigration, qui a passé son enfance dans un bidonville, ouvrir la porte d’une voiture plutôt haut de gamme. Mon sentiment à ce moment-là, je ne l’oublierai jamais. Nous sommes effectivement à des années-lumière l’un de l’autre, et pourtant, je ressens avec lui une impression qui ne trompe pas. Nous nous sommes déjà connus. Dans ce contact direct avec lui, de nouvelles émotions me viennent, que l’écran de télévision n’avait pas laissé passer. Je comprends ce que j’ai ressenti en le voyant à deux reprises dans ces émissions. Nous avons quelque chose à faire ensemble. Je ne sais pas si lui le ressent avec la même intensité à cet instant. Mais pour moi, c’est une évidence. En tout cas, je n’ai pas dû lui être trop désagréable, car notre entretien a quand même duré près de trois heures…

Désert affectif

Pourtant, ce rendez-vous me plonge dans une grande tristesse. Bien sûr, il y a le temps, vraiment très gris. Et puis le souvenir de ce quartier trop calme. Mais il y a aussi ma pauvre vie, confinée dans mes treize mètres carrés avec pour seul horizon mon mur blanc. Scénariste n’est pourtant pas le métier le plus déprimant du monde ! Mais je ressens le besoin d’agir sur le terrain, de rejoindre une communauté, d’être utile. D’ailleurs, très souvent dans cette période, je vois en rêve une grande église, presque une cathédrale, et j’entends cette phrase : « Tu as trouvé ton pays ». L’église symbolise souvent la communauté dans les rêves.

Comme le personnage de Marc dans mon roman inachevé L’énigme du lac d’agrément, Khalid a ouvert une fenêtre sur un autre monde, une autre vie, mais j’ai le sentiment qu’elle s’est aussitôt refermée. Ma proposition d’écrire un livre sur sa vie a au moins le mérite d’avoir été sincère, mais je comprends qu’il souhaite communiquer autrement avec les jeunes des quartiers. Je suis désemparé, je n’avais pas envisagé de plan B.

Je réfléchis donc à un projet de scénario.

En discutant avec Aziz ou avec Kader, en lisant des articles, des livres, sur la vie des banlieues, ce qui m’a frappé c’est le désert affectif dans lequel vivent ces jeunes. Au-delà de la misère, au-delà de l’habitat indigne, les quartiers souffrent d’abord de notre désamour. Nous avons beaucoup de mal à reconnaître ces enfants comme nos enfants et à les aimer. Le manque d’amour est aussi très fréquent dans ces familles aux multiples enfants, avec des parents qui ne sont pas très attentifs à leur progéniture, laquelle n’est souvent pas la leur, d’ailleurs. Certes, il y a des exceptions, naturellement, des parents aimants qui entourent leurs enfants d’affection et les guident dans leur développement personnel. Mais la plupart des jeunes des cités sont livrés à eux-mêmes, menacés par les pires influences de la rue et vivent dans un environnement hostile. Ils présentent presque tous d’importantes carences affectives. La suite de mon aventure me le confirmera à chaque rencontre.

Au sein de leur famille, ils sont souvent victimes de violences, physiques ou verbales. Au mieux, ils sont à l’abandon. Il leur faut souvent parler vite et fort, de peur de passer après les autres. Ce désamour, ils le retrouvent au-dehors. Ils sont les mal-aimés de la société. Même s’ils n’ont commis aucun délit, on les classe d’emblée dans la catégorie des présumés délinquants. Leur réaction est naturelle : si vous ne comprenez pas quel crime vous avez commis pour mériter un tel rejet, vous basculez facilement dans la délinquance, au moins c’est vous qui choisissez le motif du rejet ! On peut critiquer un individu pour ses actes, ses pensées, ses idées, ses gestes, ses attitudes, car il peut corriger ces aspects de lui-même. Mais critiquer un individu pour ce qu’il est, c’est terrible. Il ne deviendra jamais un autre. C’est le condamner à la haine à perpétuité.

Beaucoup de ces enfants sont retirés à leurs parents quand ceux-ci ne peuvent plus financièrement les élever. Ils sont placés dans des foyers ou dans des familles d’accueil. Puis ils retrouvent leurs parents, ou seulement l’un des deux, qui s’est mis avec un autre partenaire, et qui voit d’un mauvais œil « l’intrus ». Tout cela n’aide pas à se construire une image valorisante de soi.

Ce manque d’amour m’a paru un élément clef du drame des cités. Je trouvais que la nation n’aimait pas assez ses enfants. Sans doute, lesdits enfants ont-ils le teint foncé, parfois même très foncé, ils parlent souvent bizarrement, dans un langage à eux, avec des intonations bien à eux, ils s’adonnent à d’étranges rites sportifs ou artistiques qui ne nous paraissaient pas très catholiques, mais enfin, que cela nous plaise ou non, ces enfants sont les enfants de la France. Malheureusement, elle ne les reconnaît pas comme tels. Ils se considèrent donc comme des bâtards, des enfants illégitimes, non reconnus, mis de côté.

Je veux mettre en scène cette sécheresse du cœur.

Mon amie Claude m’a parlé de la légende du Faiseur de pluie. C.-G. Jung l’a évoquée dans un de ses ouvrages. Voici cette histoire :

Il y eut une grande sécheresse dans la ville où séjournait Richard Wilhelm [l’homme qui a fait connaître le Yi-King en Occident] ; pendant des mois il ne tomba pas une goutte de pluie et la situation devint catastrophique. Les catholiques firent des processions, les protestants firent des prières, et les Chinois brûlèrent des bâtons d’encens et tirèrent des coups de fusil pour effrayer les démons de la sécheresse. Finalement, les Chinois se dirent : “Allons chercher le faiseur de pluie”, et celui-ci vint d’une des provinces.

C’était un vieil homme émacié. Il dit que la seule chose qu’il souhaitait était qu’on mette à sa disposition une petite maison tranquille et il s’y enferma pendant trois jours. Le quatrième jour des nuages s’amoncelèrent, et il se produisit une forte chute de neige, à une époque de l’année où aucune neige n’était prévisible, et en quantité inhabituelle. Tant de rumeurs circulèrent au sujet de cet extraordinaire faiseur de pluie que Wilhelm alla voir l’homme, et lui demanda comment il avait fait. En vrai Européen, il dit : “Ils vous appellent le faiseur de pluie, pouvez-vous me dire comment vous avez produit la neige ?”. Le petit Chinois répondit : “Je n’ai pas fait la neige, je n’en suis pas responsable” — “Mais qu’avez-vous fait durant ces trois jours ?” — “Oh, cela, je puis vous l’expliquer, c’est simple. Je viens d’un pays où les choses sont ce qu’elles doivent être. Ici les choses ne sont pas dans l’ordre, elles ne sont pas comme elles devraient l’être d’après l’ordre céleste, aussi le pays tout entier est-il hors du Tao. Je n’étais pas non plus dans l’ordre naturel des choses, parce que j’étais dans un pays qui n’était pas dans l’ordre, aussi la seule chose que j’avais à faire était d’attendre trois jours jusqu’à ce que je me retrouve en Tao, et alors, naturellement, le Tao fit la neige”. »

Cette histoire traduit la conviction que l’harmonie que nous établissons avec Dieu ou avec le Soi a un effet sur l’environnement.

Le scénario que j’écris alors pour Khalid part de cette hypothèse : le mal des cités dépasse le cadre d’un problème social ou d’habitat. Les manifestations d’exclusion, de haine, de racisme, révèlent un « état d’esprit » de la France qui va à l’encontre non seulement de la simple humanité, mais de la « mission » de notre pays qui a toujours proposé au monde de nouveaux idéaux humanitaires.

J’imagine donc que cette défaillance de la France a une répercussion sur son climat et je situe l’action du film dans un avenir plus ou moins proche où une très grande sécheresse règne sur le pays.

Le film raconte l’histoire de plusieurs jeunes qui, peu à peu, au milieu des difficultés, tentent non seulement de trouver leur voie individuelle, mais aussi de dégager une nouvelle conception du rapport social.

L’action se situe en 1995. La sécheresse s’étend sur la France. Il n’a pas plu depuis des années, sinon de violents orages qui ont fait plus de ravages que de bien. Le niveau des rivières est au plus bas. Les sources sont taries. L’eau des villes est polluée. Des camions-citernes sillonnent les routes et approvisionnent les cités. La télévision diffuse des messages pour demander aux populations de ne pas gaspiller l’eau, de ne pas constituer des stocks, d’effectuer régulièrement des contrôles anti-pollution des eaux consommées. La mer est protégée par des barbelés et des CRS lourdement armés.

Les Français scrutent le ciel tous les jours, attendant avec impatience la venue de la pluie… Pour autant, la vie continue. Les habitants des villes s’organisent. L’activité du pays est ralentie, mais non paralysée. Dans une cité de banlieue, des jeunes veulent encore croire dans la vie. La sécheresse n’a pas détruit leurs rêves.

Au début du film, on découvre six d’entre eux. Ils font de la boxe. Ils parcourent les rues de la cité en faisant du jogging avec leur entraîneur. Ils passent devant des camions-citernes de pompiers qui approvisionnent en eau les habitants. Des femmes font la queue, un seau à la main, attendant la distribution. D’autres, la provision d’eau faite, remontent chez elles. Le groupe de jeunes traverse la cité, sans trop s’attarder sur ces images terribles. La tête baissée, le pas régulier, ils courent, résolus à suivre leur voie, à braver les obstacles.

L’un d’eux, Nadir, croit en son étoile. Il est déjà champion de France et prépare le championnat d’Europe. La réussite est à portée de ses gants. Il se sent chargé d’une mission : retrouver l’homme qui pourrait « faire pleuvoir ». Commence alors pour lui un « chemin initiatique », qui va le conduire jusqu’au désert marocain où le bidonville de Nanterre et sa boue lui apparaissent un jour un peu comme un mirage. Est-ce qu’en retrouvant ses racines, en allant au bout de lui-même, en assumant pleinement son « tao », il deviendra lui-même le « faiseur de pluie » qu’il est parti chercher ?

Ainsi commence le scénario du Faiseur de pluie. J’ai bien conscience d’avoir une nouvelle fois cédé à mon penchant pour le conte. Je me situe sans doute assez loin de la réalité sociale dans laquelle Khalid vit, mais je peux imaginer qu’il sera sensible à cet aspect « décalé », à cette fable moderne. Cette liaison entre le développement individuel et le rôle social, Khalid ne l’exprime-t-il pas dans le slogan de son association : « Bien dans son corps, bien dans sa tête, bien dans sa cité » ? L’accord avec soi-même déclenche l’accord avec l’environnement. C’est cette même idée que Le Faiseur de pluie veut exprimer.

Trois semaines plus tard, je lui téléphone pour prendre rendez-vous et nous nous rencontrons de nouveau. Je lui donne mon scénario à lire. À mon grand soulagement, l’intrigue lui plaît, malgré son aspect très onirique. Et pour continuer à travailler, il me propose de rencontrer son conseiller, qui écrit ses textes et qui, selon lui, est plus à même de discuter de scénario avec moi. Mais cette formule ne me convient pas du tout ! C’est avec Khalid que je veux développer ce projet. C’est lui que je dois écouter pour lui transmettre un message. Je lui dis très franchement : « C’est toi qui as déclenché une émotion en moi, c’est avec toi que je veux travailler ». Khalid se tait un instant. Puis il me dit « OK. On va travailler ensemble ».

En réalité, Khalid a peu de temps à me consacrer. Et je continue à écrire des scénarios pour la télévision. La productrice de Goal, me demande de concevoir la « bible » d’une série sur les banlieues. J’y travaille avec deux autres scénaristes. Le sujet est réellement très en vogue à l’époque. Et le thème des grands frères intéresse les milieux sociaux éloignés des réalités des banlieues. En l’occurrence le milieu de la presse et celui de la télévision. Cela parle à tout le monde. Qui n’a pas eu pour modèle un grand frère ou une grande sœur qui a guidé son développement ? C’est un thème universel.

Dieu tombé du ciel

Mais quelque chose me trouble : Khalid prétend vouloir monter le projet du Faiseur de pluie — il me relance d’ailleurs parfois au téléphone : « Il faudrait qu’on se voie pour avancer », me dit-il un jour sur mon répondeur — mais rien ne se passe. Pire, il m’ignore parfois. Ainsi ce 1er mai 1992 où je dois le voir pour travailler avec lui. Il ne m’appelle pas. Je tente de le contacter à plusieurs reprises dans la journée, je tombe à chaque fois sur la secrétaire de l’association, de plus en plus gênée, mais rien. À tel point que quelques jours plus tard, je fais le siège de son association, je « campe » sur les marches dans le hall de l’immeuble. J’attends une heure, deux heures. Et il arrive bientôt, très surpris de me voir squatter ainsi son escalier !

Que pense-t-il alors ? Sans doute que je suis quelqu’un de déterminé ! Ce qui n’est pas faux !

Il m’entraîne dans son bureau et me raconte l’incroyable entretien qu’il a eu à l’Élysée avec François Mitterrand : il l’a convaincu de venir présider la soirée où son association remet dix trophées à des jeunes de banlieue qui s’investissent dans le domaine de l’insertion. Il n’en revient toujours pas.

Ce jour-là, Khalid a rendez-vous avec des conseillers du président pour leur présenter son projet de cérémonie. Après l’avoir écouté, ils lui disent : « Il n’y a que vous qui pouvez le convaincre de venir. Attendez un instant, on va voir s’il peut vous recevoir ». À ce moment, il est en rendez-vous avec le premier ministre de l’époque, Édith Cresson. On demande à Khalid de venir. François Mitterrand accepte le recevoir entre deux rendez-vous ! Édith Cresson sort du bureau du président. Elle connaît Khalid. Ils échangent quelques mots. Puis Mitterrand le reçoit et va, pendant une heure, le questionner sur les banlieues. Une durée exceptionnelle pour un entretien improvisé ! À la fin, Mitterrand lui demande : « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? » Khalid lui répond simplement : « Juste votre présence à la soirée de remise des Trophées ». Apparemment le courant est passé entre les deux hommes, qui s’estiment. Mitterrand demande qu’on vérifie sur son agenda son emploi du temps à la date prévue. Il est libre. Il dit « OK. Je viendrai ». Les conseillers n’en reviennent pas. Jamais ils n’ont vu Mitterrand accepter de présider la soirée d’une petite association ! C’est la preuve du charisme évident de Khalid El Quandili !

Depuis cet entretien, Khalid est sur un petit nuage. Monter une soirée d’association avec la présence du président de la République est une sacrée affaire. Qui dit président, dit aussi quantité de ministres, de préfets, de maires, d’élus. Tous les responsables concernés se doivent d’être là si le président vient ! La soirée est prévue dans un gymnase à Epinay-sur-Seine, une ville hautement symbolique pour François Mitterrand.

Je comprends que Khalid est accaparé par cette soirée et a peu de temps à consacrer à mon Faiseur de pluie. Il m’envoie une invitation et je me rends à la cérémonie, ce fameux 5 juin 1992.

Le principe de la soirée est simple : Khalid remet des trophées à dix jeunes qui, pendant l’année écoulée, se sont investis en tant que grands frères auprès des jeunes de quartiers. Les heureux élus de cette deuxième édition sont de grands champions de la boxe pieds-poings : Imed Mathlouthi, Kamel Chouaref, Nordine Zenati et des responsables d’association. Chacun des lauréats est parrainé par une personnalité qui va le soutenir et le conseiller dans ses actions. Au programme de la soirée sont également prévues des projections de clips, des chansons et des danses sur scène. L’objectif est de montrer les talents de la banlieue, d’en donner une image positive.

L’ambiance est surchauffée. Des tireurs d’élite sont postés sur le toit du petit bâtiment en face de l’entrée du gymnase. Il est évident que quelque chose de très important va se produire. Et c’est le cas, effectivement. Tout à coup, on entend le rugissement de deux puissants hélicoptères qui atterrissent sur le stade de football, tout près du gymnase.

François Mitterrand, entouré de nombreux ministres, a atterri sur le stade d’Epinay-sur-Seine et est accompagné vers le gymnase par Khalid El Quandili.

Sur une musique intergalactique très étonnante, le président François Mitterrand fait son entrée dans le gymnase, accompagné par Khalid El Quandili. Des cris et des applaudissements fusent de la salle en délire, composée essentiellement de jeunes de quartiers. François Mitterrand n’a visiblement pas peur de se mêler à ce public remuant et bruyant. Il traverse le gymnase et prend place au premier rang, entouré de tous les ministres les plus importants de son gouvernement, celui de la culture, Jack Lang, celui de la jeunesse et des sports. Il y a là aussi le président du Comité olympique français, des préfets en grande tenue, des élus locaux et bien sûr et le délégué à la ville. Un incroyable cortège ! C’est dire si, pour François Mitterrand à cette époque, les banlieues sont un enjeu politique majeur, et il a trouvé en Khalid l’homme qui peut favoriser un dialogue entre des univers qui s’ignorent. Le président vient d’être réélu en 1988, il est au faîte de sa puissance. Et cela se sent.

Le spectacle sur scène commence. Des clips sont diffusés ensuite pour présenter les différents lauréats. Puis arrive le moment de la remise des trophées. François Mitterrand monte sur scène et prononce un discours très chaleureux : « Je ne suis pas venu ici pour parler, mais pour vous écouter. Ce que je viens de faire depuis le début de la soirée. Car il est très intéressant pour moi comme pour d’autres, de voir sur ces écrans, ou sur cette scène, tous ces éducateurs, ces champions, qui se sont consacrés à ce travail difficile et formidable : sport, insertion, jeunes » [1].

François Mitterrand prononce son discours.

Pour des jeunes de quartiers, si souvent mis à l’index, la présence des plus hauts responsables de la France est naturellement un symbole fort, la marque que, pour François Mitterrand et ceux qui sont venus avec lui, les jeunes des quartiers sont des enfants de la République comme les autres. Les participants qui ont ouvert grand leurs oreilles pour entendre ce message ont bien fait de le graver dans leur mémoire, car peu de hauts représentants de la nation l’ont repris par la suite…

À la fin de la cérémonie, Khalid raccompagne le président jusqu’au stade de football. Je me tiens à quelques mètres derrière lui. Deux énormes hélicoptères attendent sur la pelouse. Un tapis rouge déroulé sur la pelouse conduit le président au pied de son appareil. Il monte à bord. Dans un vacarme assourdissant, l’hélicoptère s’élève dans les airs. François Mitterrand nous fait au revoir par le hublot en agitant sa petite main. Vision hallucinante. Le petit peuple d’Epinay-sur-Seine le salue tandis qu’il prend de l’altitude. Et bientôt Dieu disparaît dans le lointain.

Khalid se tient au bord du tapis rouge. Il est K.-O. debout. Il me confiera plus tard qu’à cet instant il s’est demandé comment il avait réussi, lui, le fils d’émigré, l’enfant du bidonville, à inviter le président et tous les officiels de la République française à la petite fête de son association Sport Insertion Jeunes. Dans un flash, tout son passé est revenu : l’arrivée à sept ans dans le bidonville de Nanterre, ensuite l’installation dans la cité des Bosquets à Montfermeil, enfin la cité de la Pierre Collinet à Meaux. Était-ce un rêve ?

Plongée dans l’hormone de croissance

En juin 1992, peu de temps après cette cérémonie, la série Goal est enfin diffusée sur Antenne 2. Le succès est immédiat. Certains jours, nous dépassons même l’audience du « poids lourd » d’en face, la série culte de TF1 Hélène et les garçons. Goal, série plus virile, va en fait servir de modèle à certaines séries « sportives » réalisées par la suite. Comme le succès est au rendez-vous, la chaîne commande une suite et la productrice me demande de réfléchir à un concept original pour donner une nouvelle dynamique aux intrigues.

Parallèlement, je travaille sur une série pour France 3, Le vilain petit canard. Tout cela m’occupe beaucoup. Les rendez-vous s’espacent avec Khalid. Aucun projet n’avance et je commence à m’interroger. Pourquoi le destin m’a-t-il poussé vers lui si cela ne débouche sur rien ?

Pas tout à fait sur rien.

En fait, à travers Khalid, je vis une nouvelle aventure spirituelle, car je suis tout à coup propulsé dans l’univers des arts martiaux. Comme dirait C.-G. Jung, toute une constellation de symboles est activée par cette rencontre.

Je souffre depuis longtemps d’une dissociation entre ma tête et mon corps. Cette disposition particulière est certainement en rapport avec mes vies antérieures, celles des rituels anciens avec la gorge tranchée des sacrifiés pour offrir leur sang aux dieux, celles de décapitation du samouraï, de la guillotine pour Camille Desmoulins, de la pendaison pour Gérard de Nerval… À la base de mon cou, il y a d’ailleurs un pli très marqué, qui sépare parfaitement ma tête du reste de mon corps. Je ne suis pas un « pur esprit », mais presque.

Il n’est pas concevable de mener un processus d’individuation sans chercher à réunir son esprit et son corps. Le sport semble la voie empruntée par mon destin pour favoriser ces épousailles mystérieuses.

Je me documente donc sur les arts martiaux, et je découvre un univers tout à fait fascinant, réalisant justement la parfaite synthèse du développement physique et spirituel. Je me plonge avec délice dans les mystères de la vie de ce moine bouddhiste indien, Bodhidharma, qui aurait vécu au Ve et VIe siècle en Chine, dans le célèbre « Monastère de la jeune forêt » (Shaolin) et qui serait à l’origine des arts martiaux. Après s’être isolé pendant de nombreuses années, il serait ressorti de sa retraite avec une illumination : la profonde union du corps et de l’esprit. À partir de techniques indiennes et de la boxe chinoise, le kempô, il aurait enseigné aux autres moines une méthode d’entraînement, le kung-fu, destinée à les « armer » contre les bandits. À la suite d’une attaque du monastère au XVIIe siècle, les moines se seraient dispersés dans tout le Sud-Est asiatique, donnant ainsi naissance à une multitude de styles.

L’univers des arts martiaux me fascine. Je n’ai jamais imaginé que la spiritualité puisse s’exprimer par des techniques aussi guerrières !

Peu à peu, effectivement, une métamorphose s’opère en moi. Je m’efforce de contacter la partie instinctive de mon être, j’entreprends une vaste exploration des ressorts les plus intimes de ma dimension physique, dimension que j’ai superbement négligée, comme je l’ai déjà expliqué. Je deviens très sensible à de nouvelles vibrations. En fait, je pars ainsi à la rencontre de mon ombre, de mon guerrier intérieur.

J’oublie un temps mes lectures habituelles et je dévore les revues de karaté et de boxe pieds-poings. Je regarde les films de Bruce Lee ou de Jean-Claude Van Damme, l’acteur fétiche du full-contact. Je ressens à l’époque un profond besoin de plonger dans un grand bain de testostérone ! Cette immersion dans les arts martiaux provoque en moi, très concrètement, une poussée hormonale. Laquelle s’accompagne progressivement d’une mystérieuse et irrésistible envie de ne plus fréquenter que des hommes !

Cette traversée du désert sous le feu croisé des films d’action et des sports de combat est pour moi une pause bienfaisante. J’y vois un biais pour réunir enfin mon esprit et mon corps. Je pense aussi que le fait d’avoir eu auparavant une incarnation féminine n’a pas facilité l’appropriation de ce corps d’homme, après tant d’incarnations masculines. Les boxeurs vont bientôt s’en charger !

Dès ma rencontre avec Khalid, je suis assez frappé de constater à quel point sa vie recèle des symboles forts, souvent liés au développement personnel. Ce n’est pas très surprenant, puisque sa mission sur Terre semble être de faciliter le « passage » des jeunes des cités à l’âge adulte grâce à une meilleure intégration à la vie sociale.

Khalid est né sous le signe du Verseau. C’est l’une des douze constellations du zodiaque. Elle est représentée par un jeune homme, Ganymède, qui porte sur ses épaules un vase et déverse son contenu sur Terre. Symboliquement, la pluie est l’élément qui relie la Terre et le Ciel. Cette « pluie » répandue par Ganymède est censée apporter à l’homme de nouvelles connaissances spirituelles et ouvrir une nouvelle ère de justice sociale. La pluie qui tombe sur Terre, c’est aussi la boue, symbole double. L’un des souvenirs d’enfance que Khalid a racontés dans Beurs n’est-il pas la chute de sa mère dans la boue du bidonville de Nanterre ? Mais cette boue répugnante symbolise aussi la terre fertile, le « creuset » de toute naissance. D’ailleurs, dans un de mes rêves de cette époque, j’ai vu apparaître en plein écran le « K » du prénom de Khalid. Symboliquement, le dessin de la lettre montre un entonnoir orienté vers le haut qui capte les vibrations du ciel, un autre, dirigé vers le bas, qui capte les vibrations de la terre, et un troisième, à l’horizontale, qui diffuse la synthèse obtenue dans les entrailles émotionnelles de l’être.

Khalid me paraît totalement s’incarner dans le dessin de cette lettre : il a capté, venant du ciel, un message spirituel de justice sociale et, venant du terrain, la souffrance des jeunes des cités. Par le biais du sport, il en a imaginé une synthèse débouchant sur une action concrète.

Aujourd’hui, l’importance du sport dans l’insertion sociale est reconnue. Mais à l’époque, Khalid fait vraiment figure de précurseur.

Dans mon rêve, le K se métamorphose soudain en santiag, la botte pointue des cow-boys. Khalid en porte souvent. Et peu après, la santiag se transforme elle-même en soc de charrue s’enfonçant dans la glaise d’un champ à labourer. Que de symboles sexuels en trois images ! Ce n’est pas la pluie qui imprègne la terre de ce champ, mais la testostérone !

Le Verseau me fait aussi penser au « faiseur de pluie » de mon scénario. Tout cela converge vers une même nécessité d’aborder la justice sociale dans une perspective spirituelle. Et comme Khalid est du signe du Verseau, il me paraît indispensable d’approfondir cette notion d’Ère du Verseau et ce que je vais découvrir me laissera pantois !

Sport et spiritualité

En 1937, Paul Le Cour a publié un ouvrage intitulé L’Ère du Verseau où il tente de démontrer que l’évolution spirituelle de l’humanité passe par différentes phases correspondant aux douze signes du zodiaque.

« L’Ère du Verseau » de Paul Le Cour.

En observant le ciel, les Anciens avaient pris l’habitude de découper le ciel en douze tronçons, appelés « constellations », auxquelles ils avaient associé très librement une figure animale ou symbolique selon la forme que la disposition des étoiles qui s’y trouvaient leur évoquait. Ils avaient aussi remarqué que le soleil, dans son mouvement apparent, se levait dans une constellation différente à peu près tous les mois. De cette observation naquît la définition d’un « zodiaque », sorte de roue divisée en douze quartiers marquant les douze périodes de l’année.

La science moderne a permis de mettre en lumière un autre mouvement « apparent » du soleil. On a en effet constaté qu’au moment de l’équinoxe du printemps, le soleil ne se lève pas, de nos jours, dans la même constellation qu’autrefois. Le soleil donne ainsi l’impression de « reculer ». C’est le phénomène dit de la précession des équinoxes :

Telle une toupie perdant de son élan, la Terre oscille sur son axe en décrivant dans l’espace un grand cercle tous les vingt-six mille ans. Cette oscillation fait constamment varier les points d’intersection de l’équateur céleste avec le plan de l’écliptique, et donc les équinoxes. Celui de printemps recule sur l’écliptique d’une constellation entière en 2.166 ans, soit un douzième du temps nécessaire à la Terre pour effectuer une oscillation.

Ainsi, pendant plus de deux mille ans, la même constellation se lève avec le Soleil le jour de l’équinoxe de printemps et donne son nom à l’âge correspondant.

On doit à Paul Le Cour d’avoir établi un parallèle entre cette succession de cycles de 2.166 ans et les transformations religieuses de l’humanité. Si nous remontons le cours du zodiaque, nous sommes actuellement à la fin de l’Ère des Poissons commencée avec la naissance du Christ. Auparavant, l’humanité a été influencée par l’Ère du Bélier et encore avant par l’Ère du Taureau. Depuis quelques années, nous « glissons » insensiblement de l’Ère des Poissons vers l’Ère du Verseau.

L’Ère du Taureau commence il y a six mille ans (4000 avant J.-C.). Paul Le Cour écrit :

Nous trouvons pendant toute cette période en Égypte, en Crête, en Chaldée, en Assyrie, des religions ayant le taureau pour emblème de la divinité. De même, à cette époque, se situe le dieu Thor de la mythologie scandinave… En Égypte, le bœuf Apis est en réalité un Taureau… En Perse, il y a dans le Zend Avesta des prières au taureau sacré… Il existe aussi en Babylonie des représentations du dieu taureau à tête humaine dont on peut voir des spécimens au Louvre. Ils datent eux aussi du cycle du Taureau du cycle du Taureau zodiacal…

Paul Le Cour multiplie ainsi les exemples montrant une correspondante troublante entre les pratiques religieuses de cette époque et l’Ère du Taureau. Il poursuit la même démonstration avec l’Ère du Bélier, deux mille ans plus tard :

Sur la tombe du pharaon Seti 1er, mille cinq cents ans avant J.-C., figure un bélier dont la tête est surmontée d’un globe solaire. Nous sommes au moment de l’exode. C’est, en effet, pendant l’Exode que Moïse reçoit, sur le Sinaï, les instructions de l’Éternel défendant aux Hébreux de continuer à adorer le veau d’or (le taureau Apis) et ordonnant de le remplacer par le bélier… Le nom d’Abram, devenu par la suite Abraham, est lié aux traditions de ce cycle. En effet, Abram signifie « venu du bélier » ou « fils du bélier ».

Puis vient l’Ère chrétienne abondamment marquée par les poissons : « Les premiers chrétiens dessinaient un poisson pour se reconnaître ». « Du mot ICHTUS, « poisson », on tirait par anagramme « Isous Christos Théos Uios Socer » (Jésus Christ Dieu, sauveur des hommes »). C’est l’époque où nous sommes d’humbles pêcheurs… de poissons ! Et parmi les prodiges accomplis par le Christ, il y a la fameuse pêche miraculeuse…

Nous serions en train d’entrer progressivement dans l’Ère du Verseau, une période où l’humanité va accéder à de nouvelles connaissances spirituelles, grâce à l’eau que Ganymède déversera sur le monde.

En étudiant ce phénomène de « précession des équinoxes » et la succession d’ères spirituelles qui en découle, dans l’ordre inverse du zodiaque, il me vient soudain l’idée d’associer chacune de ces ères à une pratique sportive particulière !

Il m’apparaît alors que la prédominance d’un certain type d’activité sportive semble traduire les efforts de l’homme pour se libérer totalement des forces terrestres qui le limitent. Ainsi, à l’Ère du Taureau, symbolisée par de nombreux sacrifices d’animaux, est liée la lutte de l’homme pour surmonter la contrainte de ses instincts. On en conserve une trace dans la corrida. Les combats des gladiateurs contre les lions en sont aussi une survivance barbare.

Le Bélier est symboliquement associé aux éléments matériels, à la confrontation avec le monde physique. Or, cette période de notre histoire (de moins deux mille ans à la naissance de Jésus-Christ), est marquée par les Jeux Olympiques, dont les principales épreuves sont justement symboliques de la confrontation de l’homme avec les éléments du monde physique : le temps avec la course, l’espace avec les sauts, la pesanteur avec les lancers et les différents exercices de gymnastique.

L’Ère des Poissons, commencée il y a deux mille ans avec la venue du Christ, est marquée l’affrontement de deux frères ennemis, de deux fils de Dieu, le Christ et le Malin — autrement dit, le Bien et le Mal. Or, le signe des Poissons est justement représenté par deux poissons jumeaux, alignés horizontalement l’un au-dessus de l’autre en sens contraire. Cette dualité d’opposés correspond bien au mythe de l’affrontement sur Terre (le plan horizontal) de deux forces opposées.

Il est évident que la boxe incarne parfaitement cet affrontement. Par un jeu de miroir, ce sport représente en effet le combat de deux jumeaux (les boxeurs sont toujours choisis dans les mêmes catégories d’âge et de poids), ce qui est une forme symbolique pour exprimer l’idée soutenue par les arts martiaux selon laquelle, au-delà des animaux, des instincts, du temps, de l’espace et de la pesanteur, le principal ennemi de l’homme, c’est lui-même. Ainsi, l’Ère des Poissons donne naissance à de nombreux sports qui, à l’image de la boxe, marquent l’affrontement des opposés, individuellement ou collectivement : football, rugby, baskets, tennis…

La fin de l’Ère des Poissons est censée marquer la fin de cette division en deux du monde, la fin des conflits, la fin de l’affrontement du Bien et du Mal. Au bout de deux mille ans de Christianisme, aucun des deux adversaires n’a triomphé de l’autre. Pendant le premier millénaire, l’esprit du Christ a civilisé le monde, puis, pendant les mille années suivantes, c’est le Mal qui s’est employé à saper méthodiquement l’œuvre accomplie. Les deux frères ennemis, les deux « Poissons », ont triomphé chacun à leur tour.

Avec l’Ère du Verseau, l’homme est censé passer à d’autres préoccupations…. Cette ère doit nous aider à mieux comprendre notre présence sur Terre. Au lieu de nous battre les uns contre les autres sur le plan horizontal, comme entre les cordes du ring, nous sommes supposés déposer les armes et renouer un dialogue vertical avec le ciel. Ce dialogue vertical est symbolisé par la « pluie » déversée depuis le ciel par le vase de Ganymède.

Cette découverte d’une correspondance entre les ères spirituelles et les pratiques sportives est pour moi tout à fait inattendue. Plus je mène mes recherches, plus je suis surpris de découvrir autant de symboles spirituels dans le sport. Jamais je n’aurais imaginé qu’il possédait en lui cette dimension religieuse. Si la liaison paraît assez naturelle dans les arts martiaux, du moins dans leur pratique authentique, la découvrir dans un sport de combat comme la boxe m’étonne plutôt. Pourtant, je vais en découvrir de nombreux exemples. Mais n’anticipons pas…


[1ALLOCUTION PRONONCÉE PAR MONSIEUR FRANÇOIS MITTERRAND PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

DANS LE CADRE DE LA REMISE DE TROPHÉES SPORT INSERTION DE L’ASSOCIATION SPORT INSERTION JEUNES

Épinay sur Seine - vendredi 5 juin 1992

Je ne suis pas venu ici pour parler mais pour vous écouter. Ce que je viens de faire depuis !e début de la soirée. Car il était très intéressant pour moi comme pour d’autres, de voir sur ces écrans, ou sur cette scène, tous ces éducateurs, ces champions. qui se sont consacrés à ce travail difficile et formidable : sport, insertion, jeunes. C’est l’une des meilleures façons de donner à ces quartiers ou à ces villes une signification par le fait que tous ces jeunes s’organisent, s’entraînent, apprennent à aimer l’effort, multiplient les occasions de camaraderie, se sentent mieux ensemble et rapportent ensuite dans leur immeuble, chez leurs parents, chez leurs amis le souvenir de la fête, comme celle que nous vivons ce soir, ou dans la vie quotidienne dont nous avons aperçu certaines images tout à l’heure.

Vraiment, on a envie de féliciter, ce que je fais, tous ceux qui sont ici. Je veux dire ceux qui entraînent, ceux qui suscitent le mouvement, ceux qui insèrent les jeunes par le sport, et je suis très content de les voir après les avoir entrevus sur l’écran. On m’en avait parlé de leurs initiatives et Khalid El Quandili était venu me voir. Il m’avait convaincu de la nécessité de son entreprise, avec d’autres bien entendu, des équipes nombreuses, et je vois bien ce soir qu’il avait dit vrai. D’ailleurs je n’en doutais pas, Mais rien ne remplace la prise directe, et la relation directe, c’est ce que nous voyons ce soir à Epinay-sur-Seine.

Je vais vous dire : continuez, vous avez de bons parrains ici ! J’aperçois les ministres de la Jeunesse et des Sports, je vois le Président du Comité Olympique Français, d’autres personnes que je ne cite pas, mais que je connais très bien et que je salue.

Ce que l’on sait est très bien, mais n’est pas suffisant. Alors vous allez continuer à élargir votre action. Il faut qu’on vous aide, il faudra que vous nous aidiez, car il s’agit de quelque chose qui échappe à toutes les politiques. Ou plutôt c’est la meilleure puisqu’elle doit donner à nos villes et aux jeunes ce nos villes, le goût de vivre et l’envie de réussir, le goût de l’action et le goût de l’amitié.

En tout cas, vous qui m’écoutez je vous salue et je vous remercie pour le spectacle que vous m’offrez ce soir. À plus tard !





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